[Analyse] La chute du régime syrien aggrave l’économie chancelante de Téhéran

par Olivier DELAGARDE
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La chute du régime syrien est un coup dur pour la République islamique d’Iran. La fuite de Bachar Al-Assad aura d’importantes conséquences pour l’économie iranienne déjà moribonde.

La chute de Bachar Al-Assad, qui a fui la Syrie pour se réfugier en Russie le 8 décembre 2024, a déclenché une vague d’analyses sur l’effondrement de l’axe stratégique chiite, mené par la République islamique d’Iran (RII) dans la région. Peu analysées et commentées, les causes et les conséquences économiques de cet effondrement révèlent pourtant une réalité qui explique du moins en partie moins, les mutations de la région.

Les investissements massifs effectués par l’Iran en Syrie depuis le déclenchement de la guerre civile en 2011, ont été motivés par des ambitions idéologiques « antisionistes, anti-occidentales », ainsi par une volonté de domination régionale, plutôt que par la recherche de rendements économiques. Selon différentes sources, ces derniers sont estimés entre 30 et 50 milliards de dollars.

Désormais sous le contrôle d’un pouvoir hostile à Téhéran, ces investissements sont irrécupérables. Or, ce revirement de situation en Syrie a pour effet d’assécher des ressources vitales d’une économie iranienne déjà fragilisée et en pleine crise structurelle. Selon le FMI et la Banque mondiale, l’économie iranienne s’est contractée de 3,5 % en 2023, tandis que l’inflation a bondi de 50 %. Cette récession économique trouve son origine dans plusieurs facteurs : la mauvaise gestion des ressources publiques, les sanctions internationales étouffantes, puis une dépendance excessive à des secteurs économiques fragilisés, comme le pétrole dont les exportations ont été considérablement réduites par les sanctions américaines.

Concrètement, cela pourrait signifier que le régime islamique n’a plus les moyens d’assurer ses ambitions régionales ni de répondre aux besoins de sa population. A cela s’ajoute le retour au pouvoir de Donald Trump, dont le premier mandat a été marqué par une politique de « pression maximale » sur Téhéran. Et avec les déclarations récentes du nouveau locataire du bureau ovale promettant un durcissement supplémentaire des sanctions, la République islamique d’Iran risque fort de se trouver dans une impasse économique durable. Ainsi, il y a fort à parier qu’elle n’aura ni les ressources pour continuer à financer son « axe de résistance » et ses alliés dans la région, ni la capacité de répondre aux revendications d’une population massivement mécontente, toujours mobilisée par des protestations incessantes contre la vie chère.

De lourds investissements militaires à perte

Depuis le début de la guerre civile syrienne en 2011, Téhéran a investi massivement dans des infrastructures et des logistiques militaires en Syrie telles que la base de Deir ez-Zor en 2013, le centre logistique de Lattaquié en 2015, incluant des entrepôts sécurisés et des tunnels souterrains, ainsi que la base aérienne T-4 de Tiyas, près de Palmyre en 2017, visant à accueillir des systèmes de défense aérienne russes et iraniens.

Les investissements de l’Iran en Syrie visaient également à garantir une présence permanente dans la région lui assurant un accès direct à la Méditerranée. Cependant, ces investissements sont désormais sous le contrôle de différentes factions hostiles, entraînant des pertes financières colossales et un affaiblissement du corridor Iran-Syrie-Hezbollah avec la chute du régime Assad. Des cas comparables, comme la perte des bases militaires américaines aux Philippines, après la fin de la guerre froide, soulignent la vulnérabilité des investissements stratégiques dans des environnements instables.

Un affaissement du « soft power » et des sanctuaires de culte chiites

L’Iran a investi également massivement dans des centres culturels, universités, lieux de culte et, surtout, dans les sanctuaires chiites comme ceux de Sayyida Zaynab et Sayyida Rouqayya, afin de renforcer son « soft power » idéologique en Syrie alaouite. Au registre des colossales dépenses, s’ajoute le projet Zaynab Suburb, près de Damas, visant à accueillir des familles chiites, ainsi que l’hôtel Zaynab Palace inauguré en 2016, composé de 150 chambres, d’espaces de prière et de services de restauration.

L’organisation Khatam al-Anbiya Construction Headquarters, appartenant au Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), la fondation Imam-Khomeini pour le secours et la construction, et Jihad Foundation, ont financé et supervisé ces projets, tandis que les milices du Hezbollah libanais et les brigades Fatemiyoun et Zeynabioun afghanes les ont protégés.

Zaynab et Ruqayya, petites-filles du prophète Muhammad et respectivement la sœur et la fille d’Hussein ibn Ali, une figure centrale de la croyance chiite, symbolisaient l’influence idéologique chiite et généraient des revenus grâce aux pèlerins. Les nouvelles autorités syriennes, dominées par des courants sunnites, marginaliseront ou abandonneront probablement ces symboles du « soft power » chiite, à l’instar du déclin de l’Église catholique en Irlande au XXe siècle, suite aux bouleversements politiques tels que l’indépendance de l’Irlande en 1922, la montée du nationalisme républicain et les tensions persistantes en Irlande du Nord.

Des projets et investissements structurants abandonnés

Les entreprises affiliées à l’appareil d’État iranien ont également massivement investi dans l’énergie et la reconstruction urbaine en Syrie. Ainsi la Fondation pour le logement, affiliée au Guide suprême de l’Iran, a investi dans la reconstruction de la ville d’Alep, largement détruite par des bombardements de l’aviation syrienne, appuyée par des forces russes durant la guerre civile. L’entreprise de génie civil Khatam al-Anbiya Construction et l’Iran Marine Industrial Company (connue aussi sous le nom de Sadra), toutes deux affiliées au CGRI, ont supervisé la reconstruction de routes et de ports stratégiques. Il convient également de mentionner le projet malheureux d’un corridor gazier reliant l’Iran, l’Irak et la Syrie, destiné à connecter les ressources énergétiques iraniennes à la Méditerranée, qui a été interrompu dès 2022.

Avec l’émergence d’une nouvelle élite dirigeante en Syrie, certains projets précédemment signés avec Téhéran pourraient être réattribués à des consortiums rivaux, notamment turcs ou saoudiens, plus proches du nouveau pouvoir de Damas. Ainsi, l’Iran pourrait subir des pertes similaires aux projets soviétiques en Afghanistan dans les années 1980, qui ont entraîné de lourdes conséquences économiques pour Moscou.

Un contournement commercial désormais inopérant

En outre, la Syrie servait non seulement de marché pour les produits iraniens, mais également de plaque tournante permettant de contourner les sanctions internationales. Par exemple, des entreprises syriennes jouaient le rôle d’intermédiaires dans l’exportation de produits iraniens vers le Liban ou bien encore de certaines régions d’Europe de l’Est.

Avec la chute de Bachar El-Assad, plusieurs accords commerciaux en cours entre Téhéran et Damas risquent fort d’être compromis ou profondément remaniés, au détriment des entreprises iraniennes. Pour l’Iran, les pertes ne se limiteraient pas aux exportations directes. La perte de la Syrie en tant que place de marché compromet davantage la capacité commerciale iranienne, rendant les exportations plus difficiles et coûteuses, exacerbant ainsi sa dépendance envers ses partenaires traditionnels comme la Chine. Là encore, un parallèle peut être fait avec la fin des accords commerciaux entre l’Union soviétique et la RDA après la chute du mur de Berlin. Cette situation illustre la fragilité des systèmes commerciaux dépendant de contextes politiques instables.

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