Réchauffement France-Maroc : encore un effort !

par Valerie Morales Attias
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Valérie Morales Attias est résidente au Maroc, journaliste et auteur, elle est enseignante à l’Ecole Supérieure de Journalisme de Paris

Les relations entre les deux pays ont subi ces dernières années des crises profondes. Si quelques éclaircies laissent aujourd’hui augurer d’un climat plus apaisé, un soutien réaffirmé sur le Sahara scellerait une véritable réconciliation.

“En même temps”, tout s’est cassé

Depuis une dizaine d’années, la diplomatie entre la France et le Maroc a oscillé entre courtoisie réciproque et fâcheries passagères. Ces rapports compliqués ont pris un nouveau tournant, plus incisif, dès 2017. Tout semblait bien s’annoncer quand, à peine trois mois après son investiture, le Président Macron se rendait à Rabat. Les observateurs y ont vu là une façon bien sympathique d’annoncer l’importance que revêtait le Maroc à ses yeux. Pourtant, après cette visite si importante pour le Royaume, s’ensuivit presque immédiatement l’amorce d’une politique de rapprochement du Président français avec Alger. Ce “en même temps” conceptuel du Président français a beaucoup agacé Rabat dont les relations diplomatiques avec l’Algérie sont inexistantes depuis 2021, Alger ayant rompu celles-ci autour de la question du statut du Sahara. Ces liens entretenus par la France avec l’Algérie ont alors provoqué un recul significatif du Maroc, choqué par les déclarations de l’Élysée insistant sur “les destins liés” de l’Algérie et de la France, ainsi que sur les” liens humains inestimables” tissés à travers le temps…

Ces relations dégradées entre les deux pays, enchaînement de maladresses diplomatiques et de vexations profondes, l’Élysée ne tient pas à les prendre en compte et refuse d’évoquer une crise diplomatique avec le Maroc. Pourtant, à ce moment, rien ne va plus. Depuis mars 2023, il est clair que les tensions continuent de s’accroître entre Paris et Rabat. On en veut pour preuve la réponse cinglante des autorités marocaines à Emmanuel Macron, qui affirmait que sa relation avec Mohammed VI était “amicale”. Le 2 mars, la presse du Royaume s’était alors empressée de rapporter les propos de l’entourage du roi, insistant sur le fait que “Nos relations ne sont ni bonnes ni amicales”. Voilà qui a le mérite d’être clair.

Pression sur les pays du Maghreb

D’autres crises ont marqué ces dernières années, dont celle des visas. Tout a commencé à l’automne 2021 quand la France a annoncé sa volonté de réduire de manière drastique le nombre de visas accordés aux voyageurs marocains. Leur nombre a été divisé par deux, tout comme pour les Algériens et les Tunisiens. Il s’agissait pour Paris de mettre la pression sur les pays du Maghreb. Le Maroc est clairement en première ligne. On lui reproche de freiner l’accueil sur son sol de ses ressortissants en situation irrégulière, visés par des expulsions du territoire français. En ne fournissant qu’un nombre très réduit des documents nécessaires à leur rapatriement, le Royaume aurait sciemment gelé ces procédures. Paris, de son côté, assumait sa volonté de mettre la pression sur ses voisins méditerranéens afin qu’ils accentuent leur coopération en matière de gestion des flux migratoires. Ces tensions ont fini par s’apaiser après l’intervention en décembre dernier de la ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna.  “Nous avons pris les mesures, avec nos partenaires marocains, pour restaurer une relation consulaire normale”, a assuré celle-ci. En réponse, Rabat a salué cette nouvelle orientation qui allait “dans le bon sens”

Les scandales Pegasus

Une autre affaire n’a pas manqué ces dernières années de compliquer les relations entre la France et le Maroc. Nous sommes en 2019, à un moment de statut quo entre les deux pays, quand la presse internationale créé un scandale diplomatique en révélant une affaire d’espionnage inattendue impliquant, selon les spécialistes, la surveillance de quelques 50.000 personnes à travers le monde (femmes et hommes politiques, journalistes, militants des droits humains, etc.), dont Emmanuel Macron, lui-même, par le biais d’un logiciel espion nommé Pegasus, mis au point par une société israélienne. Plusieurs gouvernements ont été mis en cause, dont celui du Maroc. Dans le Royaume, cette accusation d’espionnage ne passe pas : “L’implication des médias et de certains milieux français dans la genèse et la promotion de l’affaire Pegasus ne pouvait pas se faire sans une implication des autorités françaises”, glisse à Jeune Afrique une source diplomatique marocaine. Pourtant, malgré les intempéries, les liens singuliers entre la France et le Maroc restent solides.

Enfin, le dégel

Contre toute attente, la fin de l’année 2023 a été le témoin du réchauffement entre les deux pays. Quelles en sont les principales raisons ?  Selon Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et la Méditerranée à Genève, “le difficile rapprochement entre Paris et Alger explique en grande partie l’actuel apaisement avec Rabat. Pour Paris, son voisin algérien disposait de nombreux atouts comme sa proximité avec les pays du Sahel. Mais faute de pouvoir renouer avec le géant africain, Macron fait de nouveau les yeux doux à son rival, le Maroc.” Pour nombre d’observateurs marocains, le président Emmanuel Macron s’est rendu à l’évidence : ” il est impossible aujourd’hui de réconcilier la France avec l’Algérie.” Pour chacun, le Président désire retisser les liens avec Rabat. Une “mise en scène ” parfaitement orchestrée par Paris, selon Hasni Abidi, en référence au mea culpa entrepris par l’ambassadeur de France au Maroc, Christophe Lecourtier. Dans la presse marocaine : “Quel gâchis de notre part” a déclaré celui-ci, regrettant la dure politique des visas si difficilement accordés en 2021. La détente semble donc s’installer de nouveau entre les deux diplomaties, reposant en grande partie sur “l’impossible” rapprochement entre la France et l’Algérie. Mais Christophe Lecourtier a une autre explication. Il précise que l’injuste restriction sur les visas, levée depuis près d’une année, est une politique qui a “profondément abîmé et l’image et l’influence de la France. On ne gère pas une relation aussi intime que celle entre la France et le Maroc avec des statistiques”. Ces propos du diplomate ont été appréciés au Maroc à leur juste valeur. D’autant que les intérêts stratégiques entre les deux pays, économiques et politiques, sont nombreux. Autre signe positif : le retour d’un ambassadeur du Maroc en France. Resté vacant pendant une année après le départ du précédent diplomate, Mohamed Benchaâboun, le poste est aujourd’hui occupé par la pertinente Samira Sitaïl, ancienne directrice de l’information sur la télévision publique 2M. Première femme à ce poste, elle est également connue pour son franc-parler.  

Le dossier du Sahara en cours de résolution ?

La question du Sahara marocain est fondamentale pour le Royaume. Elle représente le point le plus important de sa diplomatie dans le monde. En vrai, ce dossier pourrait bien être le principal reproche qu’adresse Rabat à Paris pour ne pas s’être aligné clairement sur les Etats-Unis, l’Espagne, l’Allemagne et Israël. “La seule décision qui assurerait la stabilité et la prospérité de l’ensemble de la région. Cette décision étant la reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur son Sahara.” Précise la presse marocaine intarissable sur le sujet. Emmanuel Macron a refusé jusqu’à maintenant d’opérer le moindre changement sur ce point. Preuve en est le silence total sur ce thème du Président français lors de ses interventions publiques. Plusieurs explications possibles à cela : on parle beaucoup au Maroc de la déception française de voir les nouvelles alliances régionales et internationales du Maroc prendre une direction qui ne vont pas dans le sens des intérêts français. L’exemple le plus évoqué est celui de la forte  dynamique diplomatique, politique et économique du Maroc déployée en Afrique, traditionnellement zone d’influence française.

Cependant, malgré les divergences réelles et les interprétations aléatoires, le nouvel ambassadeur de France, Christophe Lecourtier a réaffirmé il y a peu sur la chaîne publique marocaine, le soutien de la France  au plan d’autonomie marocain pour le Sahara. « Nous serons un allié constant, fidèle, créatif, dynamique, de ce que le Maroc entreprend et poursuit », a-t-il précisé. « On va accompagner (…) les prochaines étapes pour que ce plan puisse être partagé à l’échelle internationale. » a-t-il déclaré récemment. S’il est acquis que la France a soutenu la position marocaine à l’ONU, les nouvelles perspectives sont plus prometteuses pour le Maroc sur son objectif principal. Le soutien français pourrait monter d’un cran d’après Christophe Lecourtier. Une reprise des négociations bilatérales entre les deux Etats au sujet du Sahara serait enfin d’actualité

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