Interview de Monsieur Moussa Mara, ancien Premier ministre du Mali et futur candidat à l’élection présidentielle

par contact@geopolitics.fr
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LE REJET DE POLITIQUES, D’ATTITUDES OU DE COMPORTEMENTS PARTICULIERS, A FINI PAR DEVENIR, AU MOINS EN PARTIE, LE REJET D’UN PAYS”

Monsieur le Premier ministre, pourriez-vous nous dresser un tableau de la situation politique au Mali ?

La situation politique de notre pays est celle d’une transition politique, régime exceptionnel, avec toutes ses caractéristiques : des incertitudes sur les perspectives, notamment le retour à l’ordre constitutionnel, des partis politiques sur la défensive et de nombreux autres acteurs politiques en posture difficile du fait de l’impopularité, des limitations à la liberté d’opinion, une forte polarisation de la scène publique mue par la désinformation et d’autres manipulations. Il faut également retenir le contexte sécuritaire toujours volatile malgré une réelle montée en capacité des forces armées et une plus grande présence étatique au nord du pays. Enfin le contexte économique difficile avec des impacts sociaux significatifs alimente sans doute aussi les tensions.

On pensait l’ère des coups d’Etat révolue mais l’exécutif malien semble tenir le choc. Peut-il s’appuyer sur une certaine popularité auprès des Maliens ? Comment voyez-vous l’avenir ?

La popularité des militaires est réelle et comme de nombreux autres analystes l’ont souligné, elle est fortement basée sur le grand rejet des populations à l’égard des acteurs politiques classiques à qui sont imputées les échecs de nos pays. Le contexte particulier de nos pays, propice aux manipulations et à la désinformation, entretient également l’espoir porté sur les militaires. Jusqu’à quand cela durera-t-il ? Personne ne le sait. Il y a un risque certain que la transition dure au-delà des délais convenus comme on le voit avec le report sine die des élections initialement prévues pour février 2024. Nous avons à poursuivre nos activités politiques et continuer à parler aux populations pour travailler à une réhabilitation progressive de la politique. Parallèlement il faut également maintenir des canaux de discussions avec les autorités pour les convaincre que le retour à l’ordre constitutionnel est positif pour le pays mais aussi pour elles-mêmes. Dans le contexte actuel, le temps n’est pas forcément l’allié des leaders.

Quelles sont les évolutions notables de la situation sécuritaire au Mali ? Quelle est la vraie place de la force Wagner au Mali et son bilan ?

Nos autorités ne reconnaissent pas la présence de la force Wagner en indiquant qu’elles coopèrent plutôt avec l’Etat russe à travers des instructeurs militaires. Je me tiendrais donc à cette position. Les efforts fournis par les autorités de la transition en termes d’équipements et de recrutements ont permis un renforcement significatif des capacités de nos forces de défense et de sécurité. Cela a notamment permis un redéploiement au Nord et une occupation des emprises laissées par la MINUSMA sur le départ. Le cas le plus emblématique étant la ville de Kidal qui est de nouveau sous le contrôle de l’Etat pour la première fois depuis plus de dix ans. La coopération Russe a aidé à cela sur différents plans et cela est positif. En revanche les défis terroristes restent toujours importants dans le pays, autour de 1000 écoles sont fermées dans notre pays et des centaines de milliers d’enfants ne suivent pas les cours depuis des années. Nous avons donc du boulot en matière sécuritaire et la force militaire seule ne sera pas suffisante.

Quelles sont les pistes à privilégier dans la région sahélienne pour contrer la menace djihadiste après le retrait des troupes françaises ?

Le djihadisme sahélien est davantage une insurrection contre nos Etats qu’un islamisme absolutiste et violent qui entendrait installer un califat quelconque. Les forces françaises n’ont pas suffisamment intégré cet état de fait et ont eu un traitement uniquement militaire pour finalement constater qu’il ne suffisait pas. Elles ont échoué malgré les moyens engagés. Nos forces paradoxalement ont la même approche. Je le dis depuis 2016, si nous ne travaillons pas de manière holistique sur le terrorisme, nous allons échouer. Il nous faut travailler concomitamment sur les aspects sécuritaires, judiciaires, administratifs, socio-économiques, culturels et cultuels. Nous avons l’avantage d’avoir dans notre pays des ressources humaines et des organisations sociales en mesure d’accompagner utilement l’Etat dans cette direction. Nous devons mettre une pression militaire tout en ouvrant des possibilités pour les combattants qui le voudraient de réintégrer la société. Nous devons redéployer une administration plus juste et équitable, réparatrice des fautes passées pour ouvrir des perspectives de réconciliation. Nous devons également ouvrir des possibilités d’installation d’ordre socio politique au niveau des localités qui puisse emprunter des règles à la religion, c’est ce que j’appelle donner une substance à la laïcité malienne. Combattre le terrorisme nécessite au moins autant d’intelligence que d’armes !

La France a été chassée du Mali. La rupture a été brutale. S’agit-il, selon vous d’un sentiment anti-français général ou plutôt du rejet d’une politique et de comportements inadaptés ?

Le rejet de politiques, d’attitudes ou de comportements particuliers, a fini par devenir, au moins en partie, le rejet d’un pays. Cela alors que nous avons des relations socio culturelles qui ne peuvent être rompues tant nous partageons une histoire forte, nos diasporas en sont l’illustration la plus concrète. La langue française également. Je pense qu’il nous faut réécrire une nouvelle page de l’histoire de nos relations en allant à partir de ce qui nous unit et en regardant lucidement ce qui nous divise. Cette réécriture nécessite qu’en France on fasse attention aux mots et aux attitudes à adopter à l’égard de l’Afrique en général et au Mali en particulier.

Comment remettre du lien entre les deux pays ? Quelle importance doit jouer l’importante diaspora malienne et les binationaux pour y parvenir ?

Ils doivent constituer le socle à partir duquel rebâtir des relations entre les deux pays. La culture, l’éducation, la formation, l’emploi, la coopération économique, les investissements des hommes d’affaires, le sport, sont des domaines qui fonctionnent et qu’il faut privilégier pour maintenir et développer les relations entre les deux pays. Pour ce faire, il faut sortir des postures guerrières et des ressentiments comme l’arrêt de la délivrance des visas de part et d’autre. Les collectivités territoriales offrent une autre possibilité de poursuivre la coopération entre les deux pays. Les deux Etats peuvent l‘utiliser pour poursuivre autrement et de manière plus utile des relations au services des populations.

Vous-même, comment envisagez-vous votre avenir politique ?

Mon avenir politique sera politique ! c’est-à-dire au service de mon pays. Je viens d’être désigné par mon parti comme son candidat à la prochaine élection présidentielle dont on ne connait pas encore la date (rires). Mais nous sommes patients et nous saurons attendre le moment pour proposer à nos compatriotes un projet de rassemblement et de changement véritables. D’ici là nous poursuivons toutes nos actions politiques pour sensibiliser et convaincre nos compatriotes. Nous essayons d’être utiles, secourir comme on peut les personnes dans le besoin à travers notre fondation pour l’entraide et le développement. Nous voyageons également dans le pays à la rencontre de nos compatriotes. Nous continuerons à parcourir le Monde pour animer des conférences, participer à des évènements et tenir notre rang. Evidement nous maintiendrons des rapports francs, sincères et constructifs avec les autorités de la transition pour contribuer à la réussite de cette période et évoluer vers un retour productif à l’ordre constitutionnel. Vous voyez que notre avenir politique sera très politique !

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