Conflit russo-ukrainien, quelles origines et quelles perspectives ?

par David OSORIO
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L’Ukraine, un enjeu de la rivalité impériale russo-américaine

Rien ne peut justifier les crimes de guerre commis par la Russie contre l’Ukraine. Mais un examen de l’histoire récente nous montre que cette guerre constitue le point culminant de plusieurs années d’une politique américaine visant à encercler la Russie et de réponse de cette dernière par tous les moyens.

En effet, le politologue américain d’origine polonaise Zbigniew Brzezinski dans son livre « Le Grand Échiquier. L’Amérique et le reste du monde », décrit clairement les intentions des États-Unis, avec le soutien de l’OTAN, de maintenir l’Ukraine hors de l’égide russe, et d’en faire un mur de containment contre la Russie post-soviétique.

Après la guerre froide, les États-Unis ont commencé à entrevoir les risques que représentait la résurgence d’une puissance comme la Russie, forte, large et unie, dotée d’immenses réserves de matières premières et d’énergie. De son côté, la Russie n’a jamais accepté l’idée d’indépendance ukrainienne, depuis la disparition de l’URSS en 1991. Elle n’a épargné aucun effort pour récupérer un territoire considéré comme le sien et l’un des principaux « greniers du monde » grâce à ses terres fertiles et ses capacités d’approvisionnement éprouvées pour l’Europe et une grande partie de l’Afrique. Et Poutine l’a clairement dit dès son arrivée au pouvoir, il y a 25 ans.

Le fait d’avoir ignoré ou traité avec une certaine maladresse les préoccupations russes en Europe de l’Est a été l’un des facteurs qui a permis à Moscou d’anticiper une stratégie qui a sans doute surpris tout l’Occident. Pour de nombreux analystes, les négociations entre Poutine et Zelensky ont été interrompues à mesure que les interférences occidentales se sont accrues, provoquant la suspension des mécanismes de dialogue entre les deux parties.

Une stabilité en trompe l’œil

Les mémorandums de Budapest sont trois documents signés en termes identiques le 5 décembre 1994, respectivement par la Biélorussie, le Kazakhstan et l’Ukraine ainsi que par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Russie qui accordent des garanties d’intégrité territoriale et de sécurité à chacune de ces trois anciennes républiques socialistes soviétiques (RSS) en échange de leur ratification du traité de Non-Prolifération sur les armes nucléaires (TNP). En 2009, les États-Unis et la Russie confirmeront la validité de ces trois mémorandums. L’Ukraine, qui était alors 3ème puissance nucléaire mondiale, cède ainsi à la Russie 176 missiles intercontinentaux et 1500 ogives nucléaires. En contrepartie, il est réaffirmé l’obligation de s’abstenir de recourir à la menace ou à l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de l’Ukraine.

Avec la signature de l’Acte fondateur des relations mutuelles, de la coopération et de la sécurité entre l’OTAN et la Russie en 1997, Moscou s’était engagé à ne pas menacer ni recourir à la force contre les alliés de l’OTAN et, pour sa part, l’alliance atlantique à ne pas déployer de forces militaires sur le territoire des nouveaux membres ni armes nucléaires. Cependant, la Russie allégua la violation systématique de l’accord en raison de la mise en œuvre de systèmes d’armes offensives aux frontières russes, notamment en Lettonie, en Lituanie, en Estonie et en Pologne, ce qui fut considéré par Poutine comme un exercice d’expansion inacceptable pour la sécurité de la Russie. Un temps, la Russie avait demandé à l’OTAN de s’engager à ne pas poursuivre son expansion vers l’est et à rejeter les projets d’intégration de l’Ukraine et de toute autre ancienne république soviétique à l’OTAN. Mais cette dernière maintint sa politique de portes ouvertes à de nouvelles adhésions, y compris les plus récentes de la Finlande et la Suède. À notre avis, ni la Russie ni l’OTAN n’ont jamais respecté l’accord et, derrière celui-ci, une concurrence déloyale et expansionniste a commencé à prendre forme entre les deux parties.

L’échec des accords de Minsk, prélude à la guerre

Les accords de Minsk sont un accord proposant une feuille de route visant à mettre fin à la guerre dans l’est de l’Ukraine, signé entre la Russie, l’Ukraine et les territoires séparatistes de Donetsk et Louhansk le 5 septembre 2014, sous les auspices de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Exactement comme cela s’est produit avec l’Acte de 1997, la Russie et l’Ukraine ont sapé les objectifs de cet instrument puisque, d’une part, l’Ukraine, dans son intention de réunifier sa souveraineté, a continué à renforcer son rapprochement avec l’OTAN, en cherchant son incorporation. La Russie, de son côté, n’a jamais cessé de faire pression pour établir dans la région du Donbass un gouvernement aligné sur leurs intérêts, reconnaissant par la suite l’indépendance de ses deux territoires le 21 février 2022, soit trois jours avant le début de son intervention militaire contre l’Ukraine.

Début 2014, la Russie envahit et annexe la péninsule de Crimée, à la suite des manifestations débutées fin 2013, également connues sous le nom de Révolution de Maïdan et soutenues par Washington. Elles ont conduit au départ des partisans du président prorusseYanukovyich qui avait décidé de suspendre l’accord d’association entre l’UE et l’Ukraine, en échange d’un renforcement des liens avec la Russie et l’Union économique eurasienne. A cette époque, la Russie justifiait l’annexion par la défense de ses intérêts dans la région du Donbass, dont les territoires de Donetsk et Louhansk se proclamaient indépendants la même année. Les deux territoires sont situés dans ce qu’on appelle la « ceinture de rouille » en raison de leur richesse en minéraux et de leurs vastes réserves de charbon. Cela constituait une violation flagrante du mémorandum de Bucarest. Cette annexion est une violation du mémorandum de Bucarest.

Exactement comme cela se produisit avec l’Acte de 1997, la Russie et l’Ukraine ont sapé les objectifs de cet instrument puisque, d’une part, l’Ukraine, dans son intention de réunifier sa souveraineté, a continué à renforcer son rapprochement avec l’OTAN, en cherchant son incorporation. La Russie, de son côté, n’a jamais cessé de faire pression pour établir dans la région du Donbass un gouvernement aligné sur ses intérêts, reconnaissant par la suite l’indépendance de ses deux territoires le 21 février 2022, soit trois jours avant le début de son intervention militaire contre l’Ukraine. Par conséquent, le non-respect tant de l’accord de 1997 que des accords de Minsk de 2014 est le résultat de deux interprétations opposées et inconciliables, qui ont démontré que la médiation occidentale n’était pas seulement un échec diplomatique mais le point de départ d’un conflit géopolitique de nature périphérique.

Les Etats-Unis pourraient se désengager

Depuis que la Russie a attaqué l’Ukraine, les États-Unis ont fourni une aide militaire de plus de 75 milliards de dollars, à laquelle doit s’ajouter le nouveau paquet qui sera probablement le dernier d’ici les élections présidentielles de novembre pour un montant de 61 milliards de dollars récemment approuvé par le Congrès après plusieurs mois de négociations.

Cependant, tout ce soutien financier, y compris l’aide de l’UE, n’a pas réussi à repousser l’offensive russe. Les sanctions internationales n’ont pas produit l’effet escompté : le PIB de la Russie a augmenté de plus de 3 %, consolidant également ses relations commerciales avec les BRICS et sa coopération stratégique avec les régimes de gauche d’Amérique latine. Malgré la signature d’un accord avec la Finlande, fin 2023, autorisant les troupes américaines à utiliser 15 bases militaires dans ce pays nordique, une usure absolue se manifeste, sans compter le coût immense que le processus de reconstruction de l’Ukraine entraînera à l’avenir.

En outre, les tensions avec la Chine et l’aggravation de la situation au Moyen-Orient sont deux questions sur lesquelles Trump et Biden s’accordent comme priorités de leur politique internationale. Il est donc exclu que les États-Unis, avec Trump ou Biden à la Maison Blanche, souhaitent entrer en guerre directement contre la Russie.

L’Europe est-elle prête à prendre de plus grands risques ?

Si les États-Unis commencent à prendre leurs distances par rapport à la guerre entre la Russie et l’Ukraine, que peut faire l’UE ? Faire des coupes drastiques dans les budgets pour investir dans les dépenses militaires reviendrait à assumer un coût social inimaginable. Les gouvernements européens seraient-ils prêts à imposer des lois sur le recrutement obligatoire ? Au-delà de la rhétorique et dans le cadre de la campagne pour les élections européennes, qui assumerait le coût politique de soulever cette question pour rechercher un consensus qui conduirait à préparer les peuples européens à entrer en guerre contre une puissance nucléaire ?

Honnêtement, depuis ce forum d’analyse, nous ne voyons pas cela comme réalisable, car il faudrait aussi préparer les économies de ces pays à aller à une guerre prolongée où les désavantages de l’Europe contre la Russie sont clairement visibles, c’est pourquoi nombre des experts affirment qu’il ne serait même pas nécessaire que Poutine lance une attaque nucléaire contre un pays européen.

Les calculs de certains ont sous-estimé la constance de Poutine, qui est un politicien dangereux mais qui tremblera d’autant moins à prendre des décisions drastiques pour éviter de perdre la guerre, qu’il n’a aucun compte à rendre, à quiconque. Tout semble donc indiquer que, quelle que soit l’hypothèse, la Russie ne perdra pas la guerre. Ce n’est qu’une question de temps avant que la résistance ukrainienne atteigne la limite de ses capacités. Mais ce qui est intéressant ici, c’est que l’Europe, afin d’éviter de nouvelles destructions de l’Ukraine et, surtout, des pertes humaines, cherche à réactiver immédiatement les négociations avec la médiation de la Chine et sa « diplomatie itinérante », au lieu d’envisager la possibilité éventuelle d’entrer dans une guerre contre la Russie, qui pourrait dangereusement conduire l’humanité vers une troisième guerre mondiale dévastatrice.

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