L’alliance Russo-Chinoise au cœur du nouvel ordre mondial

par Elyes GHARIANI
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Quel rôle joue aujourd’hui l’alliance russo-chinoise dans la recomposition de l’ordre international ? Faut-il y voir une simple réaction à l’hégémonie occidentale ou bien le signe d’une transition géopolitique profonde ? Quelles sont les bases solides de cette relation stratégique, et jusqu’où peut-elle aller sans céder sous le poids des divergences potentielles ? À l’aube d’un monde multipolaire en gestation, la Russie et la Chine redéfinissent ensemble leurs rapports avec Washington, avec quels objectifs, quelles ambitions et quelles limites ?

Un moment symbolique dans un monde en recomposition

Le 8 mai 2025 marque une double commémoration. Alors que le monde célèbre le 80e anniversaire de la victoire sur le nazisme, le président chinois Xi Jinping arrive à Moscou pour une visite d’État qui dépasse le cadre historique. Le défilé militaire du 9 mai, suivi par une vingtaine de chefs d’État, incarne une volonté affirmée par Moscou et Pékin : renforcer leur rapprochement stratégique dans un contexte international marqué par des tensions croissantes.

Les discours prononcés lors des cérémonies ont confirmé cette orientation commune. Vladimir Poutine a évoqué le courage des soldats russes engagés en Ukraine, les reliant à la lutte contre une prétendue résurgence idéologique du nazisme. Pour sa part, Xi Jinping a exprimé un soutien clair à Moscou, tout en soulignant les défis posés par un environnement international où certains acteurs tentent, selon lui, d’imposer une logique hégémonique.

Derrière cette rencontre se profile une réalité complexe : la Russie subit des sanctions économiques accrues de l’Occident, tandis que la Chine affronte une rivalité stratégique grandissante avec les États-Unis. Si leurs intérêts ne sont pas parfaitement alignés, ils convergent suffisamment pour justifier un partenariat fondé sur des besoins complémentaires — sécurisation des flux énergétiques pour la Chine, accès aux marchés et technologies pour la Russie.

Ainsi, sous le ciel froid de Moscou et à l’ombre d’une histoire revisitée, ce sommet bilatéral s’inscrit dans une démarche commune : celle de peser ensemble sur un monde en pleine mutation, où l’hégémonie américaine est de plus en plus contestée.

La consolidation d’un partenariat stratégique sino-russe

Historique et évolution du partenariat politique, économique, militaire et technologique

Le partenariat entre la Chine et la Russie est né d’une histoire faite d’allers-retours entre coopération et méfiance. Après un traité d’amitié en 1950, les relations se sont rapidement tendues, marquées par des divergences politiques et frontalières qui ont culminé dans les années 1960. Ce conflit a longtemps pesé sur leur relation, avant qu’un retour progressif au dialogue ne s’engage.

Un tournant majeur survient en 2001 avec la signature du Traité de bon voisinage et de coopération amicale, réaffirmant les principes de respect mutuel et de non-ingérence. Renouvelé en 2021, ce texte matérialise une volonté partagée de dépasser les contentieux du passé. En 2005, un accord définitif sur les zones frontalières contestées scelle cette volonté de confiance durable.

L’institutionnalisation de leur coopération atteint un nouveau niveau avec la création de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) en 2003, plateforme clé en Asie centrale pour coordonner la sécurité régionale et encourager la concertation stratégique.

Sur le plan économique, leur relation repose sur des complémentarités naturelles : la Russie fournit à la Chine énergie et matières premières, tandis que Pékin exporte vers Moscou des biens manufacturés, technologies et infrastructures modernes. Cette dynamique s’est intensifiée après 2014, lorsque les sanctions occidentales poussèrent la Russie à recentrer ses alliances vers l’Est.

Enfin, la dimension militaire de cette coopération a connu une montée en puissance notable. Des exercices conjoints comme Vostok-2018 illustrent leur coordination croissante. Les ventes d’armements russes à la Chine, amorcées dans les années 1990, ont contribué à la modernisation de l’armée chinoise. Aujourd’hui, leur collaboration s’étend à des domaines sensibles comme l’intelligence artificielle, la cybersécurité et les systèmes de défense avancés.

Ainsi, ce partenariat, autrefois hésitant, s’est transformé en une alliance solide, ancrée dans une histoire revisitée, des intérêts convergents et une vision commune d’un ordre mondial plus équilibré.

Objectifs communs : construction d’un monde multipolaire et défi à l’hégémonie américaine

Le partenariat entre la Russie et la Chine repose sur une vision commune : promouvoir un système mondial plus équilibré, où le pouvoir serait partagé entre plusieurs pôles influents, limitant ainsi les initiatives unilatérales des grandes puissances dominantes.

Cette convergence se traduit par une coordination accrue sur la scène internationale. Ils rejettent ensemble les sanctions économiques imposées par l’Occident, jugées préjudiciables à la stabilité globale. Ils affichent également une convergence sur la nécessité de préserver leur autonomie politique, en rejetant les pressions extérieures liées aux questions de droits humains ou de démocratie.

Pour donner corps à cette ambition, la Russie et la Chine s’appuient sur des formats multilatéraux tels que les BRICS et l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), offrant des alternatives aux institutions traditionnellement dominées par l’Occident.

La dimension symbolique de leur rapprochement n’est pas moindre. La célébration commune du 80e anniversaire de la victoire sur le nazisme offre un cadre évocateur, ancré dans une mémoire partagée. Ces commémorations servent à légitimer leur alliance actuelle et à mobiliser un sentiment d’appartenance autour de valeurs collectives.

Ainsi, loin d’être une alliance circonstancielle, celle-ci s’inscrit dans un mouvement profond mêlant histoire revisitée, pragmatisme économique, coopération militaire croissante et une vision convergente d’un monde plus juste, diversifié et moins dominé par une seule puissance.

Approfondissement des formes d’opposition à l’Occident

Instruments multilatéraux : construction d’alternatives aux institutions dominées par l’Occident

Face à un ordre international perçu comme déséquilibré, la Russie et la Chine développent des initiatives multilatérales visant à offrir des alternatives crédibles aux structures héritées du XXe siècle, souvent considérées comme trop alignées sur les intérêts occidentaux.

Les BRICS figurent en première ligne de cette démarche. La Nouvelle Banque de Développement (NDB), créée en 2014, incarne cet effort en finançant des projets d’infrastructure dans les pays émergents, sans imposer les conditions classiques associées au FMI ou à la Banque mondiale.

Par ailleurs, l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), fondée en 2001, joue un rôle croissant dans la consolidation de la sécurité régionale et la promotion d’une coopération économique durable.

Ces initiatives reflètent une stratégie commune : renforcer la capacité des États à agir selon leurs propres priorités, tout en contribuant à une recomposition progressive des rapports de force mondiaux.

Diplomatie culturelle et économique : promotion d’un récit alternatif

Au-delà du plan institutionnel, Moscou et Pékin déploient une diplomatie économique et culturelle active. L’une des expressions les plus visibles est l’Initiative « Belt and Road » (BRI), projet chinois visant à relier l’Asie à l’Europe et à l’Afrique par un réseau d’infrastructures modernes. La Russie y voit une opportunité de renforcer l’interconnexion continentale.

Sur le plan culturel, les deux pays multiplient les échanges académiques, médiatiques et artistiques. Les médias publics collaborent étroitement pour produire des contenus valorisant leurs modèles politiques et économiques, tout en questionnant les logiques d’unilatéralisme et d’ingérence.

Rejet des sanctions et dénonciation de l’unilatéralisme

Dans le registre politique, la convergence sino-russe se manifeste par une opposition claire à certaines pratiques jugées coercitives. Ils rejettent ensemble les sanctions économiques imposées à la Russie depuis 2014, les considérant comme une atteinte à la souveraineté nationale.

La Chine poursuit des échanges économiques croissants avec Moscou, notamment dans le secteur énergétique. Les deux pays dénoncent aussi fermement l’élargissement de l’OTAN et les pressions exercées sur leurs entreprises technologiques, qu’ils perçoivent comme des formes de pression menées au nom d’une logique hégémonique.

Ainsi, l’opposition russo-chinoise à l’ordre international dominant ne se limite pas à une simple rhétorique. Elle se traduit par une combinaison cohérente d’initiatives multilatérales, de diplomatie douce et de résistance pragmatique.

Impacts du partenariat russo-chinois sur les politiques américaines

Le renforcement du partenariat militaire entre la Russie et la Chine s’est illustré par des exercices d’envergure, comme « Northern/Interaction-2024 », mobilisant plus de 90 000 soldats.

Ces opérations visent à répondre à la montée de la présence militaire américaine aux frontières russe et chinoise. Au-delà du bilatéral, leur coopération s’étend à des formats tripartites incluant l’Iran, matérialisant un rapprochement tactique face à l’influence occidentale.

Sur le plan opérationnel, la Chine adopte une posture discrète mais soutenue dans le conflit ukrainien. En parallèle, elle coordonne avec Moscou des démonstrations de force autour de Taïwan, envoyant à Washington un signal clair quant à sa détermination stratégique.

Cette dynamique contribue à accélérer la transition vers un ordre international multipolaire, où le soft power russe et chinois gagne du terrain, notamment auprès des pays du Sud.

En réponse, les Etats-Unis adaptent leur dispositif : ils intensifient leur présence en Asie-Pacifique, soutiennet activement Taïwan, développent des coalitions régionales (Quad, AUKUS) et multiplient les sanctions ciblées destinées à fragiliser la solidité du tandem sino-russe.

Défis spécifiques dans le domaine technologique militaire

L’un des axes les plus stratégiques de la coopération russo-chinoise se situe dans le domaine technologique. Leur rapprochement dans la conception et le développement d’armements avancés traduit une volonté affirmée de réduire leur dépendance à l’égard du leadership technologique traditionnellement détenu par les États-Unis, tout en construisant progressivement un pôle militaro-industriel alternatif.

La modernisation rapide de leurs arsenaux nucléaires redessine les équilibres stratégiques mondiaux. Une course aux armements à trois pôles — Washington, Moscou, Pékin — semble progressivement s’installer, augmentant les risques d’escalade.

Les planificateurs américains doivent dès lors revoir leurs doctrines classiques. La gestion des crises devient plus complexe, nécessitant une anticipation accrue face à une possible coordination russo-chinoise sur plusieurs théâtres simultanés.

Conséquences géopolitiques régionales et globales

Impact sur les conflits régionaux

Le partenariat russo-chinois exerce une influence croissante dans plusieurs zones sensibles. En Ukraine, la Chine adopte une position nuancée, cherchant à préserver ses intérêts politiques sans provoquer de confrontation directe avec l’Occident.

En Asie du Sud, la Russie et la Chine jouent des rôles distincts mais complémentaires, soutenant respectivement l’Inde et le Pakistan, tout en œuvrant à stabiliser la région via l’OCS.

Au Moyen-Orient, leur présence croît progressivement, marquant une diversification des acteurs internationaux. Leur implication contribue à un rééquilibrage subtil des relations régionales, malgré la complexité des conflits locaux.

Ainsi, ce tandem russo-chinois incarne un mélange de rôle stratégique et stabilisateur, au cœur d’un ordre mondial multipolaire en pleine mutation.

Conclusion : Un avenir à rebondissements

L’alliance entre la Russie et la Chine se dessine comme une colonne vertébrale du monde multipolaire qui émerge. Portée par des intérêts communs, une méfiance partagée envers l’Occident et une volonté de redessiner les règles du jeu international, elle incarne une nouvelle donne géopolitique.

Pourtant, cette alliance n’est pas sans fissures. En Asie centrale, les ambitions des deux géants peuvent entrer en conflit. Et la guerre en Ukraine a accru la dépendance de Moscou vis-à-vis de Pékin, modifiant subtilement le rapport de force.

Au-delà, des puissances comme l’Union européenne, l’Inde ou le Brésil avancent avec prudence, cherchant à ne pas basculer tout entières dans un camp ou un autre, gardant leur marge de manœuvre.

Si la rivalité avec les États-Unis s’intensifie sur plusieurs fronts, des espaces limités de coopération subsistent sur des enjeux universels tels que le climat ou la santé mondiale. Ainsi, l’ordre mondial de demain sera façonné autant par la compétition que par le dialogue.

En fin de compte, l’entente russo-chinoise révèle une vérité plus vaste : celle d’un monde en mutation profonde, où les anciens repères disparaissent, remplacés par des équilibres fragiles, changeants, et parfois imprévisibles. Car ce nouveau monde ne se construit pas dans le calme, mais dans des confrontations discrètes, entre ambitions rivales et choix difficiles.

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