Crise avec le Bénin : un isolement au prix fort pour Niamey

par Serge Eric MENYE
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Le 31 mai 2025, le général Abdourahamane Tiani a attisé la crise diplomatique en qualifiant le Bénin d’«anticipateur de menaces», accusé d’héberger des «groupes armés manipulés par la France» dans l’unique but de «déstabiliser le Niger». Cette sortie incendiaire a anéanti toute possibilité de restauration rapide des liens transfrontaliers, avec une frontière fermée depuis le coup d’État de juillet 2023.


La junte sabote une voie vitale vers la croissance

Alors même que le Niger dépend de l’oléoduc Niger–Bénin, inauguré début 2024 sous l’égide de la CNPC chinoise, il choisit de fermer le corridor logistique central à sa renaissance économique. Ce pipeline, long de près de 2 000 km, relié de Agadem à Sèmè-Kpodji, a transporté environ 18 millions de barils entre mai 2024 et avril 2025, avec un potentiel à 200 000 barils/jour d’ici 2026. À vouloir ériger ce canal comme symbole de souveraineté, la junte sabote une voie vitale vers la croissance. La frontière terrestre de 277 km était restée partiellement ouverte après le coup d’État : le Niger conservait ses flux commerciaux via Cotonou, et la médiation de Soglo et Yayi, en juin 2024, avait entretenu l’espoir d’une désescalade. Mais les accusations de Tiani, sans la moindre preuve, ont brisé cette fragile confiance.

Une régression macroéconomique est très marquée.

La fermeture est désormais une décision consciente, pas un risque calculable. Avant la rupture, 37 % du trafic du port de Cotonou transitait vers le Niger. Aujourd’hui, le port affiche un recul de –15 % de son chiffre d’affaires, et les flux maritime se contractent. Les importateurs nigériens sont contraints de passer par le Nigeria, engendrant coûts supplémentaires, retards, vagues douanières. Le résultat : une inflation persistante des produits essentiels, une pression nouvelle sur les entreprises et consommateurs déjà accablés. La régression macroéconomique est très marquée. La croissance qui était de 6 % est passée à 2,4 % en 2023, l’insécurité alimentaire concentre plus de 2 M de personnes, la dette extérieure a fait un bond et la notation souveraine s’est gravement dégradée. Les sanctions de la CEDEAO et la coupure avec le Bénin font chanceler la reprise. Même l’embargo levé, le Niger peine à attirer les bailleurs internationaux, notamment sur les projets sociaux et climatiques.

Même la CNPC (China National Petroleum Corporation) n’a pas échappé aux frictions

Le pipeline, au cœur de tout espoir économique, a déjà été suspendu en mai 2024 à cause d’un incident diplomatique, nécessité de l’intervention de la Chine pour débloquer la situation. Ce précédent souligne la fragilité du modèle nigérien, semblable à un pendule piégé entre ambition de souveraineté et dépendance externe. La Chine intervient désormais aussi sur le plan sécuritaire. En janvier 2025, deux protocoles ont été signés entre la CNPC-WAPCO et le ministère nigérien de la Défense pour la sécurisation de l’infrastructure via drones et surveillance renforcée. Mais, dans un contexte de tensions et d’incompréhensions, même la CNPC n’a pas échappé aux frictions : début mars 2025, Niamey a expulsé trois cadres exécutifs chinois, accusés de creuser les inégalités salariales entre expatriés et locaux

En mai 2025, un accord technique conclu avec le FMI vise à réformer la fiscalité, renforcer la transparence, sécuriser les flux pétroliers et atteindre une croissance anticipée de 6,6 % . Mais ce plan repose sur des variables hors du contrôle de Niamey : la stabilité régionale et surtout, l’ouverture des frontières avec le Bénin. Sans eux, l’accord demeure un vœu pieux. En érigeant l’oléoduc en totem de souveraineté, la junte nigérienne a piétiné ses propres intérêts. L’isolement choisi fragilise le pays, en transformant un instrument de croissance stratégique en instrument de régression économique. Pour sortir de cette impasse, Niamey doit comprendre que la voie de l’indépendance ne passe pas par une solitude diplomatique, mais par un équilibre fragile entre souveraineté, coopération pragmatique.

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