En mai 2025, un avion de chasse pakistanais JF-17 Thunder, fruit d’un partenariat sino-pakistanais, abat un Rafale indien lors d’un incident aérien au-dessus de la ligne de contrôle au Cachemire. Cet événement, largement médiatisé, illustre la montée en capacité de l’industrie chinoise d’armement, désormais compétitive sur des marchés stratégiques. Depuis une décennie, la Chine s’est affirmée parmi les premiers exportateurs mondiaux d’équipements militaires, modifiant progressivement les équilibres du commerce de défense et redéfinissant les dynamiques géopolitiques. Son approche combine diplomatie pragmatique et flexibilité contractuelle, challengant les positions historiques des États-Unis, de la Russie et des pays européens.
Une montée en puissance industrielle discrète mais soutenue
Réformes structurelles et innovation accélérée
Depuis les années 1990, la Chine a engagé un investissement massif dans la modernisation de son secteur militaro-industriel. Le 14e plan quinquennal (2021) a formalisé l’objectif de « fusion civilo-militaire » (civil-military integration), visant à relier innovation civile et militaire pour renforcer sa compétitivité industrielle. À l’instar des modèles occidentaux antérieurs, cette stratégie vise à construire une base technologique exportable.
Parmi ses priorités, Pékin intègre des technologies émergentes : drones, missiles hypersoniques ou encore systèmes d’armement intégrant l’intelligence artificielle. À long terme, l’horizon 2050, centenaire de la fondation de la République populaire, marque un objectif symbolique : hisser l’Armée populaire de libération au niveau des forces militaires les plus avancées. Cette ambition, inscrite dans le « rêve chinois », cherche à aligner puissance militaire et influence globale sur la trajectoire économique du pays.
Du rattrapage technologique à l’autonomie stratégique
L’industrie chinoise de défense a évolué d’une dépendance historique aux technologies russes vers une autonomie croissante, illustrée par des programmes emblématiques comme le chasseur J-20. Cette transition s’appuie sur une synergie entre secteurs civils et militaires : des groupes comme AVIC (Aerospace Industry Corporation of China), initialement spécialisés dans l’aéronautique civile, participent désormais activement à la recherche stratégique, optimisant coûts et délais.
En parallèle, Pékin utilise les infrastructures des Nouvelles Routes de la Soie pour tester et déployer ses équipements, notamment via des installations logistiques au Pakistan et au Myanmar. Ces initiatives renforcent sa présence dans des zones géographiques critiques, tout en soutenant la logistique opérationnelle de ses forces.
Stratégie d’exportation : contourner l’Occident, conquérir le Sud
Cartographie des ventes : alliances et dépendances
La Chine s’impose aujourd’hui comme un acteur incontournable du marché mondial des armes grâce à une stratégie pragmatique et ciblée, qui lui permet de contourner les restrictions souvent imposées par les puissances occidentales. En Asie du Sud, son partenariat avec le Pakistan constitue un exemple emblématique : en 2025, près de 68 % des exportations chinoises d’armement sont destinées à Islamabad, où la coopération technologique et militaire se traduit notamment par le développement conjoint du chasseur léger JF-17 Thunder. Ce partenariat crée une dépendance stratégique, renforçant l’influence de Pékin dans une région marquée par les rivalités indo-pakistanaises.
Au-delà de cette zone, la Chine étend ses ventes vers des pays souhaitant diversifier leurs sources d’équipements militaires et renforcer leur autonomie stratégique. Elle propose ainsi des drones CH-4 à l’Arabie Saoudite, soutient la modernisation de la marine algérienne avec des frégates, et fournit à la Serbie des systèmes antiaériens HQ-22. Ces coopérations répondent à des besoins spécifiques des partenaires, en s’adaptant à leurs priorités de défense et en tenant compte des contraintes géopolitiques propres à chaque région.
Par ailleurs, la Chine intègre ses exportations d’armes dans une stratégie globale, en s’appuyant sur les infrastructures développées dans le cadre des Nouvelles Routes de la Soie (BRI). Ce modèle combine étroitement coopération économique et militaire, comme en témoigne l’exemple de l’Angola, qui a pu acquérir des blindés grâce à des prêts chinois. Cette approche permet à Pékin de renforcer sa présence dans des régions stratégiques où les puissances traditionnelles voient leur influence diminuer, consolidant ainsi son rôle géopolitique à l’échelle mondiale.
Avantages compétitifs : la doctrine du « no questions asked »
La réussite chinoise sur le marché international des armes repose sur une doctrine claire, fondée sur trois leviers complémentaires : des prix compétitifs, l’absence de conditionnalités politiques, et un financement flexible. Sur le plan économique, la Chine propose des équipements militaires à des coûts nettement inférieurs à ceux des fournisseurs occidentaux.
Par exemple, un drone Wing Loong II est vendu autour d’un million de dollars, contre près de dix millions pour un drone américain Reaper, rendant ces technologies accessibles à de nombreux pays aux budgets limités. Cette politique tarifaire agressive permet à la Chine de conquérir des marchés émergents souvent exclus des circuits traditionnels.
Sur le plan politique, Pékin adopte une posture de « no questions asked », évitant toute pression liée aux droits de l’homme, aux réformes institutionnelles ou aux sanctions internationales. Cette approche séduit particulièrement des régimes isolés ou sous embargo et renforce la réputation de la Chine comme partenaire fiable et pragmatique dans un ordre mondial en pleine recomposition.
Enfin, la Chine sécurise ses contrats grâce à des mécanismes de financement souples et conditionnels. Le cas du Sri Lanka est emblématique : l’accumulation de dettes liées à des acquisitions militaires accroît la dépendance économique et politique de Colombo vis-à-vis de Pékin, garantissant à la Chine un accès privilégié à des infrastructures portuaires stratégiques dans l’océan Indien. Ce modèle, qui combine commerce, finance et influence géopolitique, redéfinit les règles du jeu diplomatique dans le Sud global, offrant à la Chine un levier puissant pour étendre sa présence et son influence à l’échelle mondiale.
Impacts géopolitiques : évolutions et recompositions stratégiques
Complexités pour les régimes de non-prolifération
L’expansion des exportations chinoises soulève des défis pour les mécanismes internationaux de contrôle des armements, en raison de la diffusion croissante de technologies militaires dans des contextes géopolitiques complexes. Par exemple, certains modèles de drones utilisés dans des conflits récents, comme les Shahed, présentent des similitudes techniques avec des technologies chinoises, illustrant les risques de prolifération associés à la circulation transfrontalière d’équipements stratégiques. Dans des zones de tension telles que la Libye ou le Yémen, la disponibilité d’armements abordables peut influencer les dynamiques locales, nécessitant une adaptation des approches multilatérales pour préserver la stabilité régionale.
Renforcement des coopérations régionales
La Chine noue des partenariats en phase avec les besoins stratégiques de ses alliés, contribuant à une diversification des alliances dans le domaine de la défense. Au Moyen-Orient, elle fournit à la Royal Saudi Air Force des drones tactiques avancés, répondant ainsi à sa volonté de moderniser ses capacités opérationnelles.
En Europe, sa collaboration avec la Serbie s’intensifie, notamment par la livraison de systèmes de défense aérienne tels que le HQ-22, adaptés aux exigences spécifiques de la sécurité régionale. Ces initiatives s’inscrivent dans un paysage géopolitique en recomposition, où les États, soucieux de renforcer leur autonomie stratégique, recherchent des partenaires pragmatiques et flexibles.
Rééquilibrage des dynamiques stratégiques mondiales
L’émergence de la Chine sur le marché international de l’armement marque un tournant dans la géopolitique du XXIᵉ siècle. En 2025, Pékin capte environ 12 % des exportations mondiales, contre 5 % en 2015, consolidant une trajectoire ascendante qui redéfinit les rapports de force traditionnels. Cette montée en puissance ne remet pas seulement en cause la prédominance historique des États-Unis, de la Russie et des Européens, mais interroge aussi les modèles normatifs qui encadrent le commerce militaire. Les critères éthiques et politiques longtemps défendus par les puissances occidentales — liés aux droits de l’homme, à la stabilité régionale ou aux sanctions multilatérales — sont perçus par de nombreux États du Sud comme des outils d’une diplomatie sélective, contrastant avec l’approche pragmatique chinoise.
Face à cette évolution, les Occidentaux oscillent entre adaptation stratégique et affirmation de leurs valeurs. L’Union Européenne, par le biais du « European Defence Fund », cherche à renforcer l’autonomie technologique et industrielle de ses membres, tandis que des coalitions informelles (États-Unis, Australie, Japon, Inde) tentent de contrer l’influence chinoise dans l’Indo-Pacifique via des partenariats sécuritaires et des transferts technologiques ciblés. Ce double mouvement révèle une tension fondamentale : comment concilier la nécessité de compétitivité avec la défense de principes normatifs dans un monde multipolaire ?
Parallèlement, une bataille narrative oppose les deux blocs. Les campagnes occidentales mettent en garde contre les risques de dépendance économique liés aux investissements chinois, tandis que Pékin promeut une image de partenaire désintéressé, se positionnant comme un médiateur neutre dans les conflits régionaux. Cette rhétorique, combinée à des offres économiques attrayantes, séduit des États cherchant à diversifier leurs alliances sans basculer dans un camp adverse. Le XXIᵉ siècle s’annonce ainsi comme un siècle de recomposition permanente, où la puissance ne se mesure plus seulement en armements ou en alliances militaires, mais dans la capacité à articuler innovation technologique, flexibilité diplomatique et légitimité internationale.
Risques systémiques et ajustements stratégiques
Malgré son essor impressionnant, l’industrie d’armement chinoise reste vulnérable, notamment en raison de sa dépendance aux composants électroniques sensibles importés d’Europe et de Taïwan, ce qui limite son autonomie stratégique.
Par ailleurs, la fragilité économique de certains partenaires, comme le Venezuela, peut compromettre la stabilité des contrats d’exportation et la fiabilité perçue de la Chine comme fournisseur.
Face à cette montée en puissance, les puissances occidentales réagissent par une combinaison d’adaptation et de rivalité. Des coalitions informelles regroupant États-Unis, Australie, Japon et Inde cherchent à proposer des alternatives technologiques dans l’Indo-Pacifique, tandis que l’Union européenne mise sur le Fonds européen de la défense pour renforcer l’innovation et la compétitivité de ses exportations. Parallèlement, des campagnes de sensibilisation aux risques de dépendance économique témoignent de l’intensification de la guerre informationnelle dans cette concurrence globale.
L’industrie d’armement chinoise : un outil de puissance
L’émergence de la Chine sur le marché mondial des armes n’est pas qu’un succès industriel : elle marque un changement profond de l’équilibre des pouvoirs. Pékin utilise son secteur de défense comme un levier stratégique, non seulement pour renforcer son armée, mais surtout pour redessiner un système international en mutation, où le monde bipolaire laisse place à un ordre multipolaire en pleine recomposition.
Cette montée en puissance s’inscrit dans une stratégie globale mêlant ventes d’armes, alliances économiques, projets d’infrastructure (comme les Nouvelles Routes de la Soie) et une diplomatie active promouvant une alternative aux modèles occidentaux. La Chine réinvente le concept de puissance : moins centrée sur la domination classique que sur la coopération, l’innovation technologique et l’adaptation stratégique. Un modèle taillé pour le XXIᵉ siècle, où la flexibilité l’emporte sur la rigidité des anciennes hiérarchies.
Face à cette évolution, les puissances occidentales affrontent un défi majeur : préserver leur influence en modernisant leurs industries tout en défendant des valeurs comme la transparence et la coopération internationale. Sans coordination claire, elles risquent de perdre du terrain face à une Chine déterminée à imposer une nouvelle donne.
D’ici 2049, centenaire de la République populaire, Pékin vise à hisser son armée au niveau des plus grandes puissances. Cette ambition annonce un bouleversement stratégique, où la capacité à projeter sa force, à contrôler les technologies clés et à s’attirer des alliés définira la carte du pouvoir mondial.