Le bouton nucléaire et la géopolitique

par David OSORIO
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Le risque nucléaire n’a jamais été aussi fort et assumé

Depuis la Seconde Guerre mondiale, l’humanité est consciente du risque latent que fait peser la menace nucléaire.  Mais penser que ce cauchemar ne se réalisera pas ne signifie pas nier ses possibilités, surtout dans un contexte géopolitique traversé par quatre grandes zones porteuses de tous les dangers : la guerre de la Russie en Ukraine, la crise au Moyen-Orient entre Israël, la Palestine et l’Iran, le conflit dans la péninsule coréenne et les tensions entre les États-Unis et la Chine à Taiwan et en mer de Chine méridionale. Tout cela sans prendre en compte divers cas d’accidents nucléaires tels que Tchernobyl ou Fukushima, dont peu ont été révélés car il s’agit d’informations classifiées.

Le président russe Vladimir Poutine n’a émis aucune réserve en alertant à plusieurs reprises sur la capacité d’utilisation de son arsenal nucléaire. En effet, ses déclarations constituaient un message clair à l’OTAN en cas d’envoi de troupes en Ukraine comme l’avait suggéré le président français Emmanuel Macron en février dernier. C’est pourquoi Poutine n’a pas hésité à souligner qu’il renforcerait ses forces militaires installées aux frontières avec la Suède et la Finlande, récemment intégrées à l’OTAN. Cependant, plusieurs pays de l’Alliance Atlantique ont désavoué le président Français et immédiatement exclu l’envoi de soldats en Ukraine.

Depuis la crise des missiles de Cuba en 1962, jamais nous n’avons pas été aussi exposés à une possible confrontation nucléaire qu’aujourd’hui : en raison de l’escalade de la guerre en Ukraine et des menaces répétées de Poutine contre l’Occident ; en raison de la détermination de Kim Jong Un d’entrer en guerre contre son voisin du sud et États-Unis quel qu’en soit le prix ; en raison de la capacité réciproque d’une attaque nucléaire à grande échelle entre l’Iran et Israël ; dans une moindre mesure, une confrontation entre les États-Unis et la Chine si la politique américaine ne faiblit pas dans sa stratégie d’incursion navale dans le détroit de Taiwan et dans le reste de la région Asie-Pacifique.

Les préoccupations actuelles sont sans doute pour la plupart plus élevées qu’à l’époque de la guerre froide, puisque durant cette période, à Moscou, les décisions de cette nature étaient réglées au sein du Comité central du Parti communiste. Aujourd’hui les décisions appartiennent au pouvoir autocratique du seul Poutine. D’un autre côté, la diplomatie soviétique de Nikita Khrouchtchev avait la capacité de comprendre à temps les risques posés par une catastrophe nucléaire avec les États-Unis, en faisant appel à une ligne de coexistence pacifique convenue avec le président John F. Kennedy. Ce n’est pas le cas de Poutine, qui, dans la perversité de sa politique de guerre, diamétralement éloignée de la légalité internationale, poursuit non seulement l’occupation de l’Ukraine mais aussi l’objectif de reconquête des anciennes républiques soviétiques pour accroître son pouvoir de confrontation contre l’Union européenne et les États-Unis. C’est pour cette raison que Poutine a exigé de l’OTAN, avant son invasion militaire de l’Ukraine en 2022, le renoncement à étendre sa présence en Europe de l’Est, considérant que ce territoire constitue un périmètre stratégique pour la sécurité de ses frontières.

La géopolitique a repris ses droits sur la géoéconomie

Ainsi, lors de la disparition de l’URSS en 1991, le monde a connu « un certain calme » et avec l’arrivée de la mondialisation, les enjeux géoéconomiques ont pris un rôle prédominant sur les enjeux géopolitiques pendant près de trois décennies. Mais la croissance et la transformation de l’industrie de l’armement ces dernières années ont une fois de plus placé la géopolitique à l’épicentre de l’agenda de la sécurité internationale.

Le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) en vigueur depuis 1970 signé par 191 pays, dont la Russie, les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et la Chine, le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TPAN) en vigueur depuis 2021 et signé par seulement 93 pays et le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE) adopté en 1996, signé par 187 pays mais toujours en attente de ratification par la Chine, l’Égypte, l’Inde, l’Iran, Israël, la Corée du Nord, le Pakistan, les États-Unis et la Russie, qui a révoqué sa ratification en 2023, constituent les instruments juridiques dont dispose la communauté internationale pour promouvoir le désarmement et atténuer les risques catastrophiques de l’utilisation des armes atomiques. À cet égard, il convient de noter que la Russie et les États-Unis possèdent environ 90 % des arsenaux nucléaires mondiaux.

Toutefois, la minimisation des risques d’un conflit armé ne peut dépendre uniquement du respect de ces accords. C’est pourquoi il est nécessaire que la pression diplomatique s’accompagne de l’adoption de mesures coercitives unilatérales et multilatérales, traduites en sanctions économiques, financières et commerciales visant à mettre un terme aux hostilités générées par les régimes qui menacent en permanence la paix et la sécurité internationales.

L’Occident doit également briser définitivement le piège de sa dépendance à l’égard de certains secteurs stratégiques de l’économie avec des pays comme la Russie et la Chine, qui profitent de ces désavantages pour faire du chantage et conditionner l’approvisionnement en ressources énergétiques importantes comme le gaz, le pétrole et d’autres matières premières, à l’engagement de ne pas interrompre les grandes opérations commerciales à travers le monde qui servent à leur tour à financer son industrie d’armement. Cette situation conduit à assumer progressivement la mise en œuvre des sanctions susmentionnées avec une prudence absolue pour protéger les intérêts nationaux et régionaux.

Deux problèmes majeur : le nucléaire civil comme échappatoire et le risque que des groupes terroristes s’emparent d’armes nucléaires tactiques.  

D’un autre côté, l’une des plus grandes difficultés auxquelles la communauté internationale est confrontée pour contenir la prolifération, en particulier dans les pays non démocratiques, est l’argument de l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins civiles  « scientifiques, à des fins technologiques et industrielles », par lesquelles ils cherchent à échapper aux processus d’inspection des Nations Unies, à travers l’Agence internationale de l’énergie atomique basée à Vienne et l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques basée à La Haye.

Au milieu des tensions actuelles, les pays dotés d’arsenaux nucléaires, en particulier les grandes puissances, s’accordent d’une certaine manière sur leurs contradictions, utilisant la rhétorique de leurs menaces de manière stratégique et même trompeuse, qualifiée par certains experts « d’escalade dirigée vers la dénucléarisation de l’escalade », qui a servi à refléter l’interaction réussie entre dissuasion et prévention. En d’autres termes, il s’agit de garder les alarmes actives : « Je sais que vous avez le même bouton que moi, mais j’appuierai dessus avant vous si vous poursuivez vos plans », et en retour la réponse est, « Ne vous y trompez pas, car j’ai déjà pris la décision de le faire, à moins que vous ne reveniez sur vos plans”. 

Dans ce contexte, le plus grand défi de la communauté internationale est celui d’empêcher, à tout prix, que des groupes terroristes puissent avoir accès à des armes nucléaires, notamment tactiques, ce qui entraînerait une menace réelle et incommensurable. En effet, même « les Etats-voyous » disposent de ministères de la Défense, de ministères des Affaires étrangères et de conseillers à la sécurité nationale, des éléments que ne possèdent pas les terroristes qui méprisent radicalement la valeur de la vie et les principes les plus fondamentaux de la civilisation.

L’histoire nous rappelle que les bombes atomiques n’ont été utilisées que deux fois, à la fois par les États-Unis en 1945 à Hiroshima, tuant plus de 160 000 personnes et, trois jours plus tard, à Nagasaki où près de 80 000 personnes sont mortes. Mais le présent semble incapable de nous avertir que dans une guerre d’une telle ampleur, il n’y a pas de vainqueur et qu’aucune attaque n’atteindra véritablement son objectif en cas d’holocauste nucléaire.

« L’humanité d’aujourd’hui n’est qu’à un malentendu ou à une erreur de calcul de l’anéantissement nucléaire » António Guterres – Secrétaire général de l’ONU

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