Gaza, un massacre et une famine décomplexés, quels responsables ?

par Erwan Davoux
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Erwan DAVOUX ancien Chargé de mission à la Présidence de la République, a conseillé de nombreuses personnalités politiques de droite à l’international.

Les massacres de grande ampleur commis à Gaza ainsi que la famine organisée par le gouvernement Netanyahou ont, hélas, des équivalents dans l’Histoire.

Mais ils ont, néanmoins, une spécificité : ils sont extrêmement modernes dans le sens où il est possible de savoir précisément ce qui se passe dans la bande Gaza, jour par jour, heure par heure. L’excuse de l’ignorance n’a pas la moindre place. Dès les premiers jours tout le monde a su ce qui se déroulait à Gaza (et accessoirement en Cisjordanie).

Les dictateurs ou tortionnaires, nombreux dans l’histoire misaient sur une impunité due à la lente circulation de l’information et leurs homologues étrangers eux, plus ou moins informés, pouvaient prétendre le contraire. Combien de criminels de guerre ont échappé à toute sanction car la révélation de leurs crimes est intervenue très tardivement ou même bien après leur disparition ?

Les massacres et famines organisées par ces dictateurs le furent le plus souvent à l’encontre de leur propre peuple ou de territoires rattachés. Que ce soit l’Holodomor provoquée en 1932-1933 par Staline et qui aboutit à la mort de 4 millions d’Ukrainiens (l’Ukraine faisait alors parti de l’Empire bolchévique) ou du dictateur Khmer Rouge Pol Pot dont le bilan à l’encontre de sa population est de plus d’un million et demi de personnes tuées, soit près de 20 % de la population cambodgienne par les exécutions et la torture, le travail forcé excessif, la maladie non traitée ou la famine.

Soyons très clairs : ce n’est pas le nombre de victimes qui établit le caractère génocidaire ou pas mais la nature de l’action. Le nombre de victimes s’élève aujourd’hui à 30 878 soit 1,5% de la population de Gaza. Et le fait que le gouvernement israélien soit issu d’une élection libre ne change absolument rien à la donne.

Le conflit à Gaza ouvre donc une nouvelle ère : celle d’un gouvernement qui massacre et assume ses actes face à la communauté internationale. Avec certes quelques opérations de propagande en communication qui ne trompent plus personnes, les innombrables fakes news démasquées quasi-quotidiennement.

Mais aussi, un conflit qui n’est pas interne puisqu’une armée, celle d’Israël, mène une répression brutale à l’encontre de civils sur un territoire palestinien au regard du droit international.

Ainsi, la décision sur le fond que rendra la Cour Internationale de Justice (CIJ) revêt une importance capitale. Un Etat, celui des rescapés de la Shoah, pourrait se voir accuser de génocide. Ceux qui ont activement participés à ce génocide, s’il est établi, pourraient voir leurs actes qualifiés de « crimes de guerre » et relèveraient de la Cour Pénale Internationale (CPI). Mais Israël ne reconnait pas la CPI, étrange pour un Etat qui se dit démocratique….

Mais où s’arrêtera la frontière des responsabilités ? Les dirigeants occidentaux pourraient-ils tomber sous le coup d’une complicité de génocide si la CIJ qualifiait comme tel le conflit à Gaza ?

En droit français, la complicité relève de l’article 121-7 du Code Pénal: « Est complice d’un crime ou d’un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation. Est également complice la personne qui par don, promesse, menace, ordre, abus d’autorité ou de pouvoir aura provoqué à une infraction ou donné des instructions pour la commettre. »

Emmanuel Macron peut se féliciter que l’idée qu’il lui avait été vendue par un pseudo-philosophe d’une coalition anti-Hamas sous la forme de celle qui avait combattu Daesh ait fait un pschitt retentissant, car si la France avait effectivement participé aux massacres sous couvert de lutter contre le Hamas, alors…

Pourraient tomber sous ce chef d’accusation, les dirigeants fournissant des armes à Israël lui permettant d’accomplir ce qui relève pour l’instant de massacres mais pourraient prochainement être qualifié de « génocide » si le droit interne de ces Etats le permet.

Selon les chiffres de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), la grande majorité des importations d’armes israéliennes sont américaines (92% de 2017 à 2021), l’Allemagne a représenté 6,9% des achats d’armes israéliennes au cours de la même période, l’Italie arrivant en troisième position avec 1%.

Ces trois pays ont-ils stoppés leur livraisons d’armes depuis le début du conflit à Gaza ? Pour les Etats-Unis et l’Allemagne, la réponse semble négative. Qu’en est-il de la France ? Comme l’affirmait Stéphane Séjourné, devant la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée Nationale, les ventes d’armes françaises à Israël sont résiduelles. Néanmoins, il fut incapable de fournir le chiffre exact et s’était engagé à le fournir ultérieurement.

A noter que la complicité dans la violation du droit international peut ne pas être directe. Ainsi, aux Pays-Bas, le 12 février, un tribunal a ordonné l’arrêt des livraisons de pièces de chasseurs F-35 à l’armée israélienne. Comprenons-bien qu’il ne s’agissait pas de vente d’armes par les Pays-Bas, mais le simple fait que l’armée américaine entreposait des pièces de chasseurs F-35 aux Pays-Bas.

Enfin, autre possibilité, l’article 211-2 du Code Pénal qui est ainsi rédigé : La provocation publique et directe, par tous moyens, à commettre un génocide est punie de la réclusion criminelle à perpétuité si cette provocation a été suivie d’effet. Si la provocation n’a pas été suivie d’effet, les faits sont punis de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende. Pourrait-elle s’appliquer à tous ceux qui ont soutenu ouvertement, publiquement et de manière récurrente ce génocide (s’il est établi ?) ou même encouragés Israël à aller plus loin encore ? Peut-être…

Si le verdict prononcé par la CIJ sera décisif, il y a fort à craindre que les responsabilités individuelles s’enlisent et ne trouvent pas forcément de sanction juridique. Néanmoins, il existe d’autres tribunaux. Les peuples à travers le monde ont exprimé leur soutien massif à un « cessez-le-feu-immédiat » et, plus globalement à la cause palestinienne.

En démocratie, le peuple vote et la sanction peut être politique. C’est ainsi qu’il faut interpréter les revirements pathétiques de certaines et certains, les déclarations un peu plus musclées à l’encontre de Netanyahou. La peur de porter la responsabilité politique et électorale du soutien à un grand massacre, possiblement un génocide. La conscience humaine y est, hélas, pour peu de choses !


[1] Je n’emploierai le terme de « génocide » qu’au conditionnel ou sous forme d’interrogation afin d’être extrêmement rigoureux En effet, la décision de la CIJ du 26 janvier, un véritable coup de tonnerre, a établi que les indices et les éléments d’un possible génocide étaient suffisamment probants pour ordonner à Israël de prendre des mesures conservatoires. Ce n’est que lorsque la CIJ rendra sa décision sur le fond que la qualification de génocide sera retenue ou pas.

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