La France, le Maroc, le Sahara, etc.

par Valerie Morales Attias
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Par Valérie Morales Attias, résidente au Maroc, journaliste et auteur, enseignante à l’Ecole Supérieure de Journalisme de Paris.

Le Ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné a été reçu fin février à Rabat par son homologue marocain Nasser Bourita. La volonté de réchauffement diplomatique entre les deux pays semble acquise. Reste l’épineuse question du Sahara occidental. Sur ce plan, rien n’est encore gagné.

 Stéphane Séjourné traînait pourtant un passé désastreux avec le Maroc. A l’époque, il présidait le groupe Renew du Parlement européen, groupe politique qui mena une intense campagne européenne de dénigrement contre le Royaume. A ce moment, l’Elysée n’y était évidemment pas pour rien. C’est pourtant Stéphane Séjourné qu’Emmanuel Macron a choisi pour construire les bases d’une nouvelle relation apaisée avec le Royaume. Personne n’a oublié, des deux côtés de la mer, les tensions qui ont miné les rapports entre les deux pays : les restrictions imposées par la France sur l’octroi des visas, le vote du Parlement européen condamnant la dégradation de la liberté de la presse au Maroc, l’affaire Pegasus, les tentatives ratées de réconciliation avec Alger, etc. ont représentés autant d’admonestations de la France envers Rabat. Pire : le refus français de s’aligner sur les Etats-Unis et Israël qui ont officialisé leur reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental, cause nationale essentielle pour Rabat qui semble désormais définir ses relations diplomatiques étrangères à l’aune de la position de chacun sur ce thème. Stéphane Séjourné, dont la venue au Maroc est la première visite officielle au Maghreb, a bien compris le message. Preuve de la volonté de poursuivre ce rapprochement, le nouveau ministre de l’Europe et des Affaires étrangères a réitéré le soutien de Paris au plan d’autonomie marocain au Sahara occidental, datant de 2007. Mais la résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies ne suffit plus au Maroc qui compte bien profiter de l’échec des récentes tentatives de rapprochement de Paris envers Alger.

Le “tropisme” algérien d’Emmanuel Macron est-il en train de se déliter ?

L’Algérie, malgré les attentions particulières d’Emmanuel Macron ces deux dernières années, est restée de marbre. Désormais, elle énerve l’Elysée qui considère qu’on ne peut pas compter sur elle. Ces deux dernières années, la France a quasiment tout tenté pour renforcer ses liens avec Alger. Les cajoleries dans ce sens sont probablement terminées. Ce pays revendique aujourd’hui son rapprochement avec la Russie, la Chine, les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) et depuis peu avec l’Italie. “L’Algérie veut des investissements, mais ne souhaite pas faire cadeau de ses marchés à la France”, note un observateur local. Cette déception française pourrait bien profiter au Maroc qui n’a plus de relations diplomatiques depuis le 24 août 2021 avec l’Algérie sur fond de discorde non seulement autour du Sahara occidental mais aussi à propos de la reconnaissance de l’Etat d’Israël par le Royaume.

 Paris semble donc avoir changé son fusil d’épaule en privilégiant le Maroc comme première visite officielle au Maghreb du ministre Stéphane Séjourné. Celui-ci, lors de la conférence de presse à Rabat avec son homologue marocain Nasser Bourita, rappelle qu’il existe “entre la France et le Maroc un lien exceptionnel et [Emmanuel Macron] veut que ce lien reste unique et qu’il s’approfondisse encore dans les prochains mois”. Son homologue marocain, très réchauffé lui aussi, a estimé que la relation bilatérale n’avait “pas d’égal”. Une harmonie quasi parfaite entre les deux parties que l’éditorialiste marocain Aziz Boucetta commente sans ironie : “La position de la France est importante car de cette position dépend celle de l’Europe (…) On peut donc prévoir une pression encore plus forte qu’elle ne l’est déjà de Rabat sur Paris.”

L’heure n’est pas à l’emballement

Pour le politologue marocain, Mustapha Sehimi, il est toujours bon de modérer son enthousiasme : « Cette rencontre s’inscrit dans un cadre de recherche de normalisation dans la perspective d’un réchauffement des relations entre les deux pays (…), Il faudra attendre des actes concrets, notamment sur le dossier du Sahara ». L’avis du politologue Luis Martinez est différent, lui qui déclarait récemment à la presse marocaine que “si la France et le Maroc se rapprochent, c’est parce qu’ils n’ont pas le choix », Ce spécialiste du Maghreb et directeur de recherche au CERI de Sciences Po explique que les deux pays ont besoin l’un de l’autre pour éviter de se retrouver isolés dans la région. Il est vrai que ces derniers temps la France a rencontré certaines difficultés sur l’ensemble du continent africain, boudée par les pays du Sahel, malvenue en Tunisie et impuissante dans le conflit libyen.

Quant au Maroc, les accords d’Abraham ne sont plus vraiment d’actualité en raison de la guerre au Proche-Orient.  Gaza a changé la donne et l’opinion publique marocaine est solidaire des Palestiniens. Il n’en demeure pas moins qu’Israël a reconnu la souveraineté du Maroc sur le territoire du Sahara occidental, au même titre que les Etats-Unis et l’Espagne. Le Maroc n’en attend pas moins de la France. Sur ce plan, la question demeure : Stéphane Séjourné est-il venu à Rabat, le 26 février dernier, rappeler la position française en faveur d’une solution politique conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations-Unies de 2007 ? Ce serait un camouflé pour Rabat, très investi dans le développement du Sahara. Selon le politologue marocain Hassan Aourid, cette position “serait désormais considérée par Rabat comme dépassée“. Et l’intérêt économique prime. Le royaume est une terre importante pour les entreprises françaises. Plus d’un millier de PME et la quasi-totalité du CAC 40 ont une activité sur place. Sans compter la présence en métropole française d’une importante diaspora marocaine. Paris en est bien conscient qui annonce qu’il est temps d’avancer sur le dossier du Sahara : Stéphane Séjourné l’a déclaré clairement :  ” Le Sahara est un enjeu existentiel pour le Maroc. Nous le savons”, a insisté le ministre. “Nous l’avons dit et je le redis aujourd’hui peut-être avec plus de force : il est désormais temps d’avancer. J’y veillerai personnellement”.

A moins qu’en même temps…

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