Palestine : justice confisquée, paix menacée

par Elyes GHARIANI
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Justice pour la Palestine : incertitudes, alternatives et enjeux pour la stabilité régionale

L’histoire du conflit israélo-palestinien s’écrit désormais à l’encre de l’incertitude et de l’impasse. La solution à deux États, longtemps considérée comme le socle d’une paix juste et durable, semble aujourd’hui reléguée au rang de chimère diplomatique. L’extension continue des colonies, l’asphyxie de Gaza et la polarisation croissante des acteurs ont méthodiquement effacé, sans toutefois les faire totalement disparaître, les contours d’un État palestinien viable. Les récents soubresauts régionaux n’ont fait qu’accentuer le sentiment d’un éloignement progressif de cette perspective, sans que l’on puisse affirmer de façon définitive sa disparition.

Dans ce contexte, la question se pose avec une acuité renouvelée : quels seraient les effets d’un probable scénario de disparition de la solution à deux États sur la stabilité régionale et mondiale ? Comment les différents acteurs, qu’ils soient régionaux ou internationaux, pourraient-ils s’adapter à une recomposition géopolitique du Moyen-Orient, où l’absence de solution politique nourrit l’incertitude, la frustration et l’instabilité ?

À l’heure où la diplomatie des principes se heurte à la complexité croissante des rapports de force, il devient essentiel d’examiner, avec lucidité et sans complaisance, les conséquences potentielles de cette évolution pour l’avenir du Proche-Orient et au-delà.

Vers la disparition de la solution à deux États ? Constats, causes et enjeux de la légalité internationale

Le processus de paix israélo-palestinien est marqué par une succession d’occasions manquées et de promesses non tenues. L’espoir né des Accords d’Oslo s’est heurté à la réalité des faits accomplis et à la perte de confiance. Sur le terrain, l’extension continue des colonies en Cisjordanie a progressivement morcelé l’espace palestinien, rendant la perspective d’un État souverain de plus en plus théorique, même si elle n’est pas officiellement abandonnée.

À cette fragmentation territoriale s’ajoute la division politique palestinienne, souvent exploitée pour délégitimer l’aspiration nationale et justifier l’inaction. Le blocus de Gaza depuis 2007 a transformé l’enclave en une prison à ciel ouvert, soumise à des cycles de violence et à une crise humanitaire persistante.

L’escalade de l’automne 2023, avec son cortège de violences, a révélé l’incapacité de la communauté internationale à imposer le respect du droit humanitaire et à protéger les civils.

Les récents développements diplomatiques, comme le report de la conférence des Nations Unies sur la Palestine – initialement prévue à New York en juin 2025 et désormais ajournée aux 28 et 29 juillet 2025 à l’appel de la France, illustrent la fragilité des initiatives multilatérales face aux rapports de force régionaux. Les réactions internationales, oscillant entre indignation morale et calculs d’intérêts, traduisent un désengagement préoccupant et une résignation devant la marginalisation du droit international.

Pourtant, la reconnaissance et l’application effective des résolutions pertinentes des Nations Unies – sur l’autodétermination, la fin de l’occupation ou le respect des frontières de 1967 – demeurent, pour beaucoup, la seule garantie d’une solution équitable. Ces résolutions incarnent le consensus international sur les principes d’une paix juste et offrent un cadre juridique et politique de protection face à l’arbitraire. Leur mise en œuvre permettrait de restaurer la confiance et de réaffirmer la primauté du droit sur la logique du fait accompli, condition indispensable à une paix durable.

Dans ce contexte, la disparition de la solution à deux États, bien que non actée, apparaît de plus en plus probable. Ce glissement soulève de graves interrogations sur l’avenir de l’ordre international fondé sur le droit, et fait craindre l’émergence de scénarios où la force primerait définitivement sur la justice.

Quand le soutien américain à Israël bloque tout espoir de paix durable

Les États-Unis restent l’acteur étranger le plus influent auprès d’Israël. Depuis les Accords d’Oslo, Washington a affiché un soutien de façade à la solution à deux États, tout en bloquant régulièrement, par son veto, les résolutions de l’ONU qui auraient pu la rendre possible. Cette ambiguïté a entretenu l’illusion d’un processus de paix, alors que le blocage était réel.

Ces dernières années, un tournant s’est opéré : l’administration américaine a cessé de défendre la création d’un véritable État palestinien. Sous Donald Trump, la politique américaine s’est alignée sur les positions du gouvernement Netanyahou : rejet clair de la solution à deux États, projets de transformer Gaza en zone touristique sans Palestiniens, et idée que la création d’un État palestinien ne serait envisageable que si un pays arabe voisin, comme la Jordanie ou l’Égypte, acceptait de céder une partie de son territoire pour y installer les Palestiniens. Cette position revient à refuser tout État palestinien sur les terres historiques de la Palestine.

Ce repositionnement a de lourdes conséquences :

  • Il prive la région d’un cadre de négociation crédible.
  • Il encourage l’unilatéralisme israélien, accélère la colonisation et marginalise davantage les Palestiniens.
  • Il alimente la colère et la frustration dans le monde arabe, fragilise les pays ayant normalisé avec Israël, et favorise la radicalisation.
  • Il ouvre la porte à une compétition accrue entre puissances régionales, chacune utilisant la cause palestinienne à ses propres fins.
  • Il affaiblit le droit international et le système multilatéral, augmentant le risque d’un embrasement régional.

Dans ce contexte, l’avenir de la solution à deux États est plus incertain que jamais. Sans engagement réel ni pression des États-Unis, toute avancée politique paraît hors de portée. Cette situation interroge la capacité de la communauté internationale à défendre la justice et le droit, seuls garants d’une stabilité durable au Moyen-Orient.

Les alternatives à la solution à deux États : scénarios et implications

À mesure que la solution à deux États s’éloigne, la région fait face à des alternatives lourdes de conséquences, surtout pour le peuple palestinien.

1. Expulsion massive des Palestiniens

Certains extrémistes évoquent l’idée d’expulser massivement les Palestiniens vers les pays voisins. Un tel scénario signifierait des déplacements forcés, des familles brisées, des camps de réfugiés surpeuplés et une catastrophe humanitaire. Cette politique provoquerait aussi une grande instabilité : résistance, radicalisation, déstabilisation de la Jordanie et de l’Égypte, et risque d’embrasement régional. La communauté internationale ne pourrait rester passive face à une telle tragédie.

2. Maintien d’un statut de seconde zone

Un autre scénario serait de maintenir les Palestiniens sous contrôle, sans droits civiques ni égalité, institutionnalisant une forme d’apartheid. Cela entretiendrait la frustration, la colère et la violence. Cette situation menacerait la stabilité de toute la région et renforcerait l’exclusion des Palestiniens.

3. État unique et démocratique

La création d’un État unique, laïque et démocratique, garantissant l’égalité pour tous, semble juste sur le principe. Mais dans le contexte actuel, la méfiance, l’absence de volonté politique et les blessures du passé rendent cette option presque impossible à court terme.

Ainsi, l’affaiblissement de la perspective d’une solution négociée fondée sur la légalité internationale ouvre la voie à des scénarios où la souffrance humaine, la fragmentation politique et l’insécurité risquent de devenir la norme. Face à ces alternatives, la région et la communauté internationale se trouvent confrontées à des choix difficiles, qui engagent non seulement l’avenir du peuple palestinien, mais aussi la stabilité et la légitimité de l’ordre international.

Risques pour la stabilité régionale et mondiale

L’affaiblissement de la solution à deux États ouvre la voie à des scénarios dont les conséquences humanitaires et sécuritaires pourraient bouleverser la région et l’ordre international.

Conséquences humanitaires et sécuritaires

Une expulsion massive des Palestiniens, même si elle reste une hypothèse extrême, entraînerait une crise humanitaire d’une ampleur inédite : déplacements forcés, camps de réfugiés surpeuplés, effondrement des systèmes sociaux des pays voisins, et risque d’embrasement régional. Le maintien d’un statut de seconde classe pour les Palestiniens, quant à lui, perpétuerait l’instabilité, la frustration et la radicalisation, alimentant une spirale de violence et de répression.

Radicalisation, conflits transfrontaliers, vagues migratoires

L’absence de perspective politique nourrit la radicalisation des jeunes générations et peut transformer la cause palestinienne en catalyseur de mouvements transnationaux. Les frontières risquent de devenir des lignes de fracture, exposant la région à des incidents frontaliers, à des infiltrations et à des vagues migratoires susceptibles de déstabiliser les sociétés d’accueil, y compris en Europe.

Réactions régionales et conséquences mondiales

Devant cette incertitude, les grandes puissances régionales risquent d’adapter leurs priorités, ce qui accentuerait rivalités et instabilité. Sur la scène internationale, l’abandon du droit et l’absence de solution politique affaiblissent la coopération mondiale et accélèrent la fragmentation de l’ordre international.

En résumé, une disparition éventuelle de la solution à deux États ne menace pas seulement les populations directement concernées : elle risque de transformer toute la région en foyer d’instabilité, avec des conséquences durables pour la paix, la justice et l’équilibre international.

Nouvelles alliances, plus de divisions : la cause palestinienne face à un ordre régional fragilisé

L’affaiblissement de la solution à deux États bouleverse l’équilibre régional. La normalisation entre certains États arabes et Israël, motivée par des intérêts économiques et sécuritaires, accentue le fossé entre dirigeants et peuples arabes. Certains gouvernements cherchent des compromis avec Israël, mais la rue arabe reste profondément attachée à la cause palestinienne et rejette toute forme de légitimation de l’occupation.

Dans ce contexte, la question palestinienne est souvent utilisée par différents acteurs pour servir leurs propres intérêts, ce qui entretient le conflit sans offrir de solution réelle. Les grandes puissances étrangères profitent de la division et du vide politique pour renforcer leur influence, tandis que l’Europe reste en retrait, incapable de peser sur le dossier.

L’absence de solution juste pour les Palestiniens nourrit la colère, la radicalisation et la méfiance dans toute la région. La compétition entre puissances et l’érosion du droit international font du Moyen-Orient un terrain d’affrontements indirects, où chaque crise locale peut dégénérer et toucher l’ensemble du monde arabe.

En réalité, une disparition de la solution à deux États ne fermerait pas le dossier palestinien : elle pourrait révéler  une ère nouvelle, marquée par l’incertitude stratégique, la fragilité systémique pour l’ensemble de la région et la montée des injustices, où la cause palestinienne resterait au cœur des aspirations des peuples arabes.

L’Europe face à la nouvelle réalité : contradictions et choix à faire

L’affaiblissement de la solution à deux États met l’Union européenne face à ses propres contradictions. L’UE affirme défendre le droit international et la justice, mais peine à les traduire en actes concrets.

Depuis des années, l’Europe se limite à des discours sur la paix, sans s’engager sur les véritables alternatives. En continuant de défendre une solution devenue irréaliste, elle entretient un « théâtre diplomatique » et évite de prendre ses responsabilités, contribuant ainsi à la marginalisation du droit international.

Concrètement, l’action européenne se réduit à des appels humanitaires ou à la demande d’accès à Gaza, tout en poursuivant la fourniture d’armes à Israël et en évitant toute pression réelle. Cette attitude a rendu l’Europe invisible et incapable d’influencer la situation, même lorsque la stabilité régionale est menacée.

L’UE reste profondément divisée sur la question palestinienne. Beaucoup d’États membres refusent de trancher entre les différents scénarios : expulsion, maintien d’un statut de seconde zone pour les Palestiniens, ou création d’un État unique. Cette absence de consensus affaiblit la crédibilité et l’influence de l’Europe. Pourtant, certains pays comme l’Espagne, l’Irlande, la Slovénie et la Norvège (hors UE) ont reconnu l’État de Palestine et défendent activement le respect du droit international. D’autres, comme la Belgique et Malte, affichent aussi une position critique face à la politique israélienne. Mais ce positionnement reste minoritaire, face à la prudence ou au soutien affiché par d’autres États membres, ce qui limite la capacité de l’UE à peser sur l’avenir du dossier palestinien.

L’Europe ne peut ignorer sa responsabilité historique et géographique. Sans engagement clair, elle risque de rester spectatrice d’une crise qui s’aggrave. Si elle choisit de défendre uniquement ses intérêts, elle perdra toute influence. Rester fidèle à ses valeurs – justice, égalité, respect du droit – est la seule façon de préserver sa légitimité.

En somme, l’effacement progressif de la solution à deux États ne révèle pas seulement un échec diplomatique, mais une crise d’identité stratégique pour l’Europe, désormais confrontée à la nécessité de choisir entre la préservation de ses intérêts immédiats et la défense de ses principes.

Un test moral et politique pour le monde entier

La disparition progressive de la solution à deux États n’est pas seulement un échec diplomatique : c’est un tournant grave qui menace la stabilité de toute la région et au-delà. Ce constat révèle l’impuissance de la communauté internationale, incapable d’arrêter la colonisation, le blocus et les violences qui rendent chaque jour plus incertain a création d’un véritable État palestinien.

Les conséquences dépassent la seule Palestine : elles risquent d’installer une instabilité durable, de pousser à la radicalisation, de provoquer de nouveaux déplacements de populations et d’alimenter des logiques d’exclusion et de violence qui choquent la conscience humaine. Face à cette réalité, continuer à faire semblant de négocier ou éviter d’affronter les vraies responsabilités ne fait qu’aggraver la crise de confiance envers les institutions internationales.

L’écart entre les valeurs proclamées et les actes devient insupportable. Tant que l’injustice et la dépossession des Palestiniens seront tolérées, la communauté internationale, et surtout l’Europe, participera à un ordre fondé sur la force, non sur le droit.

La question palestinienne n’est plus seulement un dossier régional : elle est devenue un révélateur de la capacité du monde à défendre la justice et la dignité pour tous. Reconnaître pleinement les droits du peuple palestinien et appliquer réellement le droit international sont les seules voies pour retrouver la paix, la justice et la sécurité pour tous les peuples de la région.

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