BRICS, Sud global et défi à l’Occident : Vers un nouvel équilibre mondial ?

par Elyes GHARIANI
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Les BRICS, entre émergence et redéfinition de l’ordre international

Genèse et portée stratégique des BRICS

Formé en 2001 comme un concept financier désignant le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine, le sigle « BRIC » s’est rapidement mué en une réalité géopolitique d’envergure. L’intégration de l’Afrique du Sud en 2010 puis les élargissements récents ont élargi sa portée et consolidé son rôle. Aujourd’hui, les BRICS représentent plus de la moitié de la population mondiale et environ 41 % du PIB global en parité de pouvoir d’achat. Ils s’imposent comme le catalyseur d’un rééquilibrage des rapports de force internationaux et incarnent la contestation de l’hégémonie occidentale.

Le « Sud global » qu’ils aspirent à représenter dépasse la simple dimension géographique. Il exprime une volonté collective de coopération entre nations historiquement marginalisées, désireuses de s’émanciper des cadres institutionnels hérités de l’après-guerre. À ce titre, les BRICS apparaissent comme un laboratoire de la coopération Sud-Sud, mêlant recherche d’équité, affirmation souveraine et stratégies de long terme. Reste à savoir si cette dynamique est pérenne ou circonstancielle, dans un contexte de mondialisation perçue comme déséquilibrée.

Mais l’hétérogénéité des trajectoires nationales — Chine socialiste, Inde démocratique, Russie autoritaire, Brésil et Afrique du Sud confrontés à des fragilités internes — soulève la question de la cohésion. Cette diversité, à la fois richesse et contrainte, interroge la capacité du groupe à porter une vision commune sur la scène internationale sans compromettre l’autonomie de ses membres.

Un levier structurel et stratégique

La force des BRICS repose sur une assise structurelle impressionnante. En 2025, ils concentrent à eux seuls 41 % du PIB mondial en parité de pouvoir d’achat et plus de la moitié de la population de la planète. Ce poids leur confère une légitimité inédite dans les débats internationaux. Leur influence s’exerce notamment dans des secteurs clés : les BRICS produisent près de 30 % du pétrole mondial et dominent plusieurs marchés stratégiques de matières premières, leur procurant un levier considérable dans la transition énergétique.

Malgré des défis internes, leur dynamisme économique demeure soutenu, avec une croissance moyenne estimée à 3,4 % en 2025, contre 2,8 % pour le reste du monde. Ce différentiel d’attractivité alimente les flux d’investissements et stimule l’innovation. Dans ce contexte, le sommet de Rio de Janeiro en juillet 2025 s’annonce comme une étape cruciale : il permettra de mesurer comment cette coalition hétérogène entend exercer son influence dans un monde en recomposition. La question n’est plus celle du poids des BRICS, mais bien celle des modalités de son exercice.

Rappel historique : L’affirmation progressive des BRICS sur la scène internationale (2001–2025)

Phase I – De la fiction économique à la réalité géopolitique (2001–2010)

Le terme « BRIC », forgé en 2001 par Jim O’Neill chez Goldman Sachs, désignait au départ quatre grandes économies émergentes — Brésil, Russie, Inde et Chine — appelées à concurrencer les puissances traditionnelles. Conçue comme une catégorie d’investissement, cette construction purement économique a rapidement pris une dimension politique. En 2006, les ministres des Affaires étrangères des BRIC se réunissent pour la première fois à l’ONU, amorçant un dialogue régulier.

Le sommet fondateur d’Ekaterinbourg en 2009 consacre cette évolution : les BRIC y affirment leur volonté commune de réformer les institutions financières internationales, jugées trop occidentalo-centrées. L’adhésion de l’Afrique du Sud en 2010 élargit la portée du groupe, qui devient alors pleinement une entité politique représentant la voix collective du Sud global.

Phase II – Consolidation institutionnelle et montée en puissance (2011–2023)

La décennie suivante marque l’ancrage institutionnel du groupe. En 2014, les BRICS créent la Nouvelle Banque de Développement (NDB) à Fortaleza, dotée d’un capital initial de 50 milliards de dollars. Cette institution se positionne comme une alternative crédible aux grandes banques multilatérales, en proposant un modèle plus souple, sans conditionnalités politiques, centré sur le financement d’infrastructures et du développement durable.

Depuis son entrée en fonction en 2016, la NDB a approuvé plus de 120 projets pour un montant cumulé de 39 milliards de dollars. Un Fonds de Réserve Commun complète ce dispositif, destiné à protéger les membres face aux chocs financiers. En 2023, le groupe franchit un cap avec une première vague d’élargissement significative, invitant six nouveaux pays à le rejoindre, élargissant ainsi son assise au sein du Sud global.

Phase III – Expansion accélérée et structuration institutionnelle (2024–2025)

L’année 2024 marque une nouvelle étape. L’Égypte, l’Éthiopie, l’Iran et les Émirats arabes unis intègrent officiellement le groupe, renforçant son ancrage au Moyen-Orient et en Afrique.

En janvier 2025, l’Indonésie devient le dixième membre à part entière. Parallèlement, un statut de « pays partenaire » est instauré pour neuf États supplémentaires, permettant une adhésion graduelle et structurée.

En deux décennies, les BRICS sont ainsi passés d’un acronyme financier à une entité institutionnalisée capable d’influer sur les grands enjeux économiques, politiques et stratégiques contemporains. Cette trajectoire témoigne d’une ambition claire : offrir une alternative au système international dominé par l’Occident, tout en assurant la cohésion d’un ensemble de plus en plus diversifié.

Contexte géopolitique du sommet de Rio (2025) : Entre multipolarité et confrontation

Un environnement international sous haute tension

Le sommet des BRICS à Rio s’est tenu dans un climat géopolitique tendu, marqué par la remise en question des équilibres hérités de l’après-guerre et par l’intensification des rivalités entre grandes puissances.

La dynamique multipolaire portée par les BRICS se heurte frontalement à une stratégie américaine de confrontation commerciale. Sous l’impulsion de Donald Trump, Washington menace d’imposer des droits de douane additionnels de 10 % à tout pays adoptant des positions proches du groupe, avec des surtaxes atteignant jusqu’à 84 % pour la Chine. Cette logique protectionniste aggrave la fragmentation du système commercial mondial et accentue la polarisation des relations économiques.

Parallèlement, le multilatéralisme traverse une crise de légitimité. Le président brésilien Lula a dénoncé un « effondrement sans précédent » des institutions issues de Bretton Woods, les jugeant obsolètes face aux réalités du XXIe siècle. Les BRICS, à l’instar d’autres puissances émergentes, revendiquent une réforme en profondeur de la gouvernance mondiale, au nom d’une représentation plus équitable.

Les tensions régionales ont également pesé sur l’agenda du sommet. Une position commune a été adoptée sur la crise à Gaza : appel à un cessez-le-feu immédiat et condamnation des frappes contre l’Iran, sans désigner explicitement les auteurs. Cette prudence diplomatique reflète la nécessité de préserver l’équilibre interne du groupe, face à la complexité des crises régionales.

Signaux de fragilité interne et absences diplomatiques

Le sommet a été marqué par des absences symboliques, révélatrices des tensions internes. Pour la première fois depuis 2013, le président chinois Xi Jinping n’a pas fait le déplacement, déléguant sa représentation à Li Qiang.

Vladimir Poutine, sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale, a quant à lui participé en visioconférence. Ces absences traduisent les contraintes politiques, judiciaires ou stratégiques qui pèsent sur les équilibres du groupe.

Les divergences entre membres, notamment entre la Chine et l’Inde, sont un facteur de vulnérabilité structurelle. Leurs différends frontaliers et rivalités d’influence compliquent l’élaboration d’une ligne politique commune.

Cette tension s’est aussi exprimée sur la question palestinienne : la Chine défend fermement la création d’un État palestinien comme gage de stabilité régionale, tandis que l’Inde, attachée à ses partenariats stratégiques avec Israël, adopte une posture plus prudente. Ce désaccord illustre la difficulté du groupe à harmoniser ses positions sur les dossiers sensibles, où les logiques nationales prévalent souvent sur la cohésion collective.

Ainsi, le sommet de Rio symbolise à la fois l’affirmation d’une multipolarité revendiquée et les limites d’un ensemble aussi hétérogène. Il met en lumière les tensions inhérentes à l’ascension des BRICS sur la scène internationale, partagés entre ambitions communes et intérêts divergents.

Portraits croisés des BRICS : Ambitions, divergences et rapports de force

La Chine : Moteur du bloc et architecte d’un ordre parallèle

La Chine constitue l’épicentre économique des BRICS. Avec un PIB de 18,56 trillions de dollars en 2025, elle domine le groupe et s’affirme comme la deuxième puissance mondiale. En parité de pouvoir d’achat, elle surpasse même les États-Unis, consolidant sa position centrale dans l’orientation stratégique du bloc.

Sur le plan géopolitique, Pékin instrumentalise les BRICS comme levier de résilience face aux pressions occidentales. La plateforme devient un vecteur d’un multilatéralisme alternatif, fondé sur la coopération Sud-Sud et la remise en cause des normes établies. L’Initiative la Ceinture et la Route, à laquelle adhèrent la majorité des membres – à l’exception notable de l’Inde et du Brésil – illustre cette ambition d’influence mondiale articulée autour d’une nouvelle architecture internationale centrée sur la Chine.

L’Inde : L’équilibriste stratégique à la double appartenance

Avec une croissance estimée à 6,2 % en 2025, l’Inde s’impose comme future troisième économie mondiale, portée par un secteur tertiaire dynamique et une démographie jeune. Mais c’est sur le plan géopolitique que New Delhi se distingue, en cultivant une posture hybride entre l’Orient et l’Occident.

Membre du Quad aux côtés des États-Unis, du Japon et de l’Australie, tout en maintenant des relations solides avec Moscou, l’Inde refuse de s’aligner pleinement. Cette stratégie d’équilibre engendre des tensions au sein des BRICS, notamment avec la Chine, son principal rival régional. Les différends frontaliers et la compétition pour le leadership du Sud global fragilisent la cohésion du groupe et révèlent des visions opposées de l’ordre international.

La Russie : Alliée sous pression et acteur de rupture

Pour la Russie, les BRICS représentent une bouée diplomatique face à l’isolement occidental. Le groupe constitue un espace d’échanges et de légitimation, permettant à Moscou de contourner les sanctions, de défendre un récit alternatif, et de renforcer ses partenariats hors de la sphère euro-atlantique.

Mais cette ambition se heurte à des fragilités structurelles. L’économie russe, fortement dépendante des hydrocarbures et peu diversifiée, limite sa capacité d’influence durable. Si sa puissance militaire et sa capacité de nuisance demeurent significatives, sa place au sein du groupe repose davantage sur sa valeur stratégique que sur sa performance économique.

Brésil et Afrique du Sud : Entre ambitions régionales et vulnérabilités internes

Le Brésil, moteur de l’Amérique latine, s’appuie sur une économie diversifiée et une agriculture de classe mondiale. Toutefois, l’instabilité politique récurrente nuit à la lisibilité de sa politique étrangère et limite son rôle d’impulsion au sein du groupe.

Quant à l’Afrique du Sud, première puissance économique du continent africain, elle ambitionne de jouer un rôle de passerelle entre les BRICS et l’Afrique. Mais les inégalités sociales persistantes, le chômage structurel et la faible croissance (3,4 % attendus en 2025) contraignent sa capacité de projection régionale.

Les BRICS forment ainsi un ensemble unique, rassemblant des trajectoires nationales profondément contrastées. Cette hétérogénéité constitue à la fois une richesse — reflet de la diversité du Sud global — et une faiblesse, tant elle complique l’élaboration d’une vision stratégique commune. La multipolarité que le groupe incarne reste donc marquée par des tensions internes, qui conditionneront sa crédibilité et sa capacité à peser face aux grandes puissances traditionnelles.

Une mosaïque économique : Entre complémentarités et fractures

Cinq modèles pour un groupe : diversité stratégique ou dispersion ?

Derrière l’unité affichée des BRICS se cache une grande diversité de modèles économiques, façonnés par des trajectoires historiques et des choix politiques singuliers.

  • La Chine repose sur une économie de marché à pilotage étatique, combinant puissance manufacturière, investissements massifs et montée en gamme technologique. Cette stratégie lui a permis d’asseoir sa place comme atelier du monde tout en amorçant un recentrage vers la consommation intérieure.
  • L’Inde privilégie une économie de services en forte expansion, portée par les technologies de l’information, les services financiers et une démographie dynamique. Si cette orientation génère une croissance rapide, elle laisse subsister des défis considérables en matière d’infrastructures et de développement rural.
  • La Russie, fidèle à un modèle rentier, demeure largement dépendante de ses ressources énergétiques et minières. Cette exposition aux fluctuations des marchés mondiaux freine sa diversification, malgré un socle industriel hérité de l’ère soviétique.
  • Le Brésil affiche une structure plus équilibrée, entre secteur tertiaire robuste, agriculture performante et vaste marché intérieur. Toutefois, son potentiel est freiné par des inégalités persistantes, une bureaucratie pesante et une instabilité politique chronique.
  • L’Afrique du Sud associe richesse en ressources naturelles et secteur financier développé, mais voit ses ambitions entravées par une croissance modérée et des fractures sociales profondes.

Croissance à deux vitesses : moteurs et maillons faibles

Cette diversité se reflète dans les performances économiques du groupe. En 2025, la Chine (5,5 %) et l’Inde (6,2 %) tirent le bloc vers le haut, attirant capitaux et innovation. À l’inverse, la Russie, le Brésil et l’Afrique du Sud peinent à maintenir un rythme soutenu. Sanctions internationales, dépendance aux matières premières, instabilité ou fragilité institutionnelle expliquent cette dynamique à deux vitesses, souvent qualifiée de « falling behind ».

Ces écarts soulignent un paradoxe central : la diversité qui fonde la légitimité globale des BRICS constitue aussi leur principal défi. Les disparités en matière de ressources, de développement humain et de stratégies économiques rendent difficile la formulation d’une vision commune.

Dans ce contexte, le sommet de Rio interroge la capacité du groupe à dépasser ses lignes de fracture pour peser collectivement sur les grands équilibres économiques mondiaux. Proposer une alternative crédible à l’ordre international existant suppose non seulement une volonté politique partagée, mais aussi une convergence minimale des priorités économiques.

Le Sommet de Rio : Entre affirmation du Sud global et quête de crédibilité internationale

Une vision affirmée pour une gouvernance mondiale plus inclusive

Le sommet des BRICS à Rio de Janeiro s’est imposé comme un jalon stratégique dans la quête d’un ordre international plus représentatif. Placé sous le thème « Renforcer la coopération du Sud global pour une gouvernance plus inclusive et durable », il a débouché sur 126 engagements couvrant des domaines aussi variés que la réforme des institutions financières internationales, la santé publique, l’intelligence artificielle ou le climat.

L’événement a également été marqué par une nouvelle phase d’expansion. L’Indonésie a été admise comme dixième membre à part entière, tandis que dix pays partenaires se sont vu accorder un statut officiel. Cette ouverture reflète l’élargissement géographique et politique du bloc, mais soulève aussi la question de la cohésion d’un ensemble de plus en plus diversifié.

Trois innovations structurantes : climat, IA, santé

  1. Un cadre inédit pour le financement climatique : Adoptée en mai 2025, la déclaration commune sur le financement climatique constitue une première pour les BRICS. Elle vise à peser sur la réforme des banques multilatérales de développement, à défendre les intérêts des pays du Sud et à préparer une position ambitieuse pour la COP30 de Belém, fondée sur la justice climatique et la responsabilité partagée.
  2. Vers une gouvernance mondiale de l’intelligence artificielle :
    Les BRICS ont également appelé à l’élaboration d’un cadre international de régulation de l’IA, sous l’égide de l’ONU. L’initiative met en avant la souveraineté numérique, l’accès équitable aux technologies, et la protection de la propriété intellectuelle. Elle reflète une volonté d’empêcher l’appropriation exclusive des technologies critiques par les puissances occidentales.
  3. Un partenariat pour la santé publique équitable :
    Dans une approche transversale, le groupe a lancé un partenariat contre les maladies socialement déterminées, soulignant le lien entre santé, inégalités et développement. L’objectif est de renforcer la prévention, l’éducation sanitaire et l’accès aux soins pour les populations vulnérables.

Ces initiatives montrent la capacité des BRICS à proposer une agenda global alternatif, même si la rapidité de leur expansion complique l’équilibre entre ambitions collectives et intérêts nationaux.

Prises de position mesurées, mais stratégiques

Sur le plan géopolitique, les BRICS ont réaffirmé leur rejet des mesures protectionnistes unilatérales, dénonçant notamment les surtaxes commerciales imposées par certains pays. Ils ont réitéré leur attachement au multilatéralisme commercial, tout en appelant à davantage de souplesse pour les économies émergentes dans le cadre de l’OMC.

Le groupe a par ailleurs renouvelé son soutien à l’élargissement du Conseil de sécurité de l’ONU, notamment en faveur de l’Inde et du Brésil. Cette revendication traduit une volonté de rééquilibrer les structures de la gouvernance mondiale, en phase avec les réalités géopolitiques actuelles.

Enfin, sur les dossiers régionaux, les BRICS ont adopté une position commune condamnant les frappes contre l’Iran et appelant à un cessez-le-feu immédiat à Gaza, illustrant leur volonté de s’exprimer collectivement sur les grandes crises internationales, sans rompre l’équilibre interne du groupe.

En définitive, le sommet de Rio confirme les BRICS comme un acteur global en construction, capable d’articuler ambitions économiques, innovations institutionnelles et posture diplomatique affirmée. Mais leur influence dépendra désormais de leur capacité à traduire ces engagements en actions concrètes, à assurer une cohésion interne durable, et à s’imposer comme force de structuration de la gouvernance mondiale au XXIe siècle.

Regards croisés sur Rio : Confrontation, prudence, fascination

États-Unis : stratégie de confrontation et pari risqué

Face au sommet de Rio, la réaction américaine s’est traduite par un durcissement de ton. Le président Donald Trump a réitéré ses menaces d’imposer des droits de douane supplémentaires de 10 % à tout pays jugé aligné sur les « politiques anti-américaines » des BRICS. Des lettres de notification ont été envoyées dès le 7 juillet, avec la perspective d’une surtaxation allant jusqu’à 50 % dès août.

Cette approche coercitive vise à endiguer l’influence croissante du bloc, mais suscite de vives critiques au sein même des milieux économiques américains. De nombreux experts alertent sur les effets pervers d’une telle politique : perturbation des chaînes d’approvisionnement, renchérissement des coûts pour les consommateurs, affaiblissement de la compétitivité industrielle, mais surtout renforcement de la cohésion stratégique des BRICS, incités à bâtir des circuits économiques alternatifs. Cette réponse musclée illustre à la fois l’escalade du bras de fer global et les limites d’une stratégie exclusivement punitive.

Europe : prudence stratégique et désunion persistante

L’Union européenne a réagi avec plus de retenue. Le Parlement européen a récemment appelé à une meilleure coordination des politiques extérieures face à la montée en puissance des BRICS et à l’émergence de structures internationales concurrentes, notamment sous leadership chinois.

Mais en réalité, l’UE reste divisée, incapable de formuler une stratégie cohérente vis-à-vis du groupe. L’hétérogénéité des priorités nationales empêche une ligne commune, entre ceux qui perçoivent les BRICS comme des partenaires potentiels et ceux qui les considèrent comme des rivaux systémiques. L’Europe oscille ainsi entre attachement au multilatéralisme classique et nécessité d’adaptation à un ordre mondial en mutation, où le Sud global affirme de plus en plus ses ambitions.

Sud global : entre adhésion stratégique et prudence institutionnelle

Le sommet de Rio a suscité un vif intérêt parmi les pays du Sud global. Plus de trente États ont exprimé leur souhait de rejoindre les BRICS, dans l’espoir de diversifier leurs alliances et d’échapper à la tutelle historique des institutions dominées par l’Occident, comme le FMI ou la Banque mondiale.

Cette dynamique confirme l’attractivité croissante du groupe, désormais perçu comme un catalyseur de représentativité et de souveraineté économique. Toutefois, l’élargissement accéléré pose de réels défis de gouvernance et de cohésion, car l’intégration de nouveaux membres aux trajectoires très variées exige des mécanismes institutionnels plus robustes et un effort constant de convergence.

En somme, les réactions internationales au sommet de Rio traduisent un monde en recomposition. L’affrontement commercial avec les États-Unis, les hésitations européennes et l’attrait du Sud global témoignent des tensions, mais aussi des opportunités, qui entourent l’ascension des BRICS. Le défi pour le groupe sera désormais de transformer cet intérêt croissant en influence structurante, sans se perdre dans la dispersion de ses ambitions.

Entre puissance et fragmentation : Le paradoxe stratégique des BRICS

Un levier économique et diplomatique majeur

Avec près de 41 % du PIB mondial en parité de pouvoir d’achat et une croissance supérieure à la moyenne internationale, les BRICS s’imposent comme un acteur économique incontournable.

Ce dynamisme leur confère une légitimité croissante dans les négociations internationales et accroît leur influence sur les normes de l’économie globale.

Au-delà de leur poids économique, les BRICS ont su développer des outils institutionnels alternatifs, à l’image de la Nouvelle Banque de Développement (NDB), qui a déjà financé plus de 39 milliards de dollars de projets, souvent sans conditionnalités politiques. Ces mécanismes traduisent une volonté de construire une coopération Sud-Sud autonome, moins dépendante des canaux traditionnels dominés par l’Occident.

Sur le plan diplomatique, leur capacité à fédérer un nombre croissant de pays du Sud global autour d’intérêts partagés fait des BRICS une plateforme de contestation de l’hégémonie occidentale, et un pôle potentiel de réforme de la gouvernance mondiale.

Une puissance freinée par ses contradictions internes

Mais cette force apparente masque des failles structurelles persistantes. La diversité des modèles économiques, des régimes politiques et des priorités stratégiques entrave la construction d’un consensus durable. Cette hétérogénéité croissante rend difficile l’élaboration de positions communes et la prise de décisions collectives.

Les rivalités internes, notamment entre la Chine et l’Inde, aggravent ces tensions. Leurs différends frontaliers, leurs visions opposées du leadership régional et leurs orientations géopolitiques divergentes minent l’unité stratégique du groupe.

L’élargissement rapide du bloc, s’il renforce son poids global, accentue aussi les dissensions, révélant des intérêts souvent contradictoires. Les débats sur des questions clés — dédollarisation, réforme des institutions internationales, gouvernance technologique — souffrent d’un manque de consensus, affaiblissant la capacité des BRICS à incarner une force cohérente sur la scène mondiale.

En définitive, les BRICS incarnent un paradoxe : une puissance économique consolidée, mais une cohésion politique fragile. Leur avenir dépendra de leur capacité à surmonter ces fractures internes, à renforcer leurs mécanismes de coordination, et à formuler une vision partagée. Ce n’est qu’à cette condition qu’ils pourront transformer leur poids économique en influence politique structurante, et prétendre jouer un rôle décisif dans la redéfinition de l’ordre mondial au XXIe siècle.

Quel avenir pour les BRICS ? Trois scénarios pour un monde en transition

Le sommet de Rio a mis en lumière les ambitions affirmées mais fragiles des BRICS, qui apparaissent de plus en plus comme un laboratoire d’un ordre mondial en recomposition.

Entre hétérogénéité interne, rivalités géopolitiques et pressions systémiques, leur trajectoire demeure incertaine. Trois scénarios principaux se dessinent, porteurs d’implications stratégiques majeures.

Trois scénarios d’évolution : entre équilibre, affrontement et éclatement

1. Coopération pragmatique : la voie de la stabilité multipolaire

Dans ce scénario, les BRICS privilégient la coopération économique sans se positionner frontalement contre l’Occident. Le groupe consolide ses institutions existantes – telle la NDB – et renforce ses mécanismes de coopération technologique et financière. Cette approche modérée maximise les bénéfices communs tout en laissant à chaque membre une marge de manœuvre pour ses relations bilatérales.

Les BRICS s’imposeraient alors comme un acteur multipolaire structurant, capable d’influencer les normes globales sans entrer dans une logique de bloc antagoniste.

Bloc contestataire : montée en puissance d’un front anti-occidental

Dans une dynamique plus radicale, poussée notamment par Pékin et Moscou, le groupe opte pour une confrontation assumée avec l’ordre occidental. Cela se traduirait par l’intensification des efforts de dédollarisation, la mise en place d’institutions parallèles, et un resserrement de la coopération en matière de sécurité, d’IA ou de commerce.

Dans ce cadre, les BRICS deviendraient un pôle systémique de contestation, alimentant une polarisation accrue du système international. Cette cohésion dans l’opposition renforcerait le groupe à court terme, mais au prix d’une instabilité durable à l’échelle mondiale.

Fragmentation : l’éclatement sous le poids des contradictions

Le scénario le plus pessimiste verrait le groupe se désagréger progressivement, incapable de surmonter ses divergences internes. Les tensions sino-indiennes, les orientations économiques divergentes et les rivalités régionales mineraient la cohésion, poussant certains membres vers des partenariats bilatéraux ou régionaux plus compatibles avec leurs intérêts.

Cette fragmentation réduirait l’influence collective des BRICS, révélant les limites d’un ensemble aussi hétérogène lorsqu’il ne parvient pas à dépasser la primauté des intérêts nationaux.

Trois variables clés : tensions internes, guerre en Ukraine et réponse occidentale

1. Le facteur sino-indien : entre coopération stratégique et rivalité durable

La relation entre la Chine et l’Inde reste le principal point de fragilité interne. Malgré une interdépendance économique croissante, leurs différends frontaliers et ambitions concurrentes compliquent toute convergence politique. La gestion de cette rivalité, par le dialogue ou la confrontation, conditionnera l’équilibre du groupe.

2. Le conflit ukrainien : Moscou, facteur d’unité ou de fracture

L’invasion de l’Ukraine continue de redéfinir le rôle de la Russie dans le groupe. Si son isolement renforce son ancrage au sein des BRICS, il génère des tensions diplomatiques avec les membres plus soucieux de ménager leurs relations avec l’Occident. L’évolution du conflit aura donc un impact direct sur la stabilité du bloc.

3. La stratégie occidentale : dialogue ou pression ?

Enfin, la manière dont les puissances occidentales choisiront d’interagir avec les BRICS sera déterminante. Une approche inclusive, fondée sur l’engagement, pourrait encourager une évolution modérée et constructive du groupe. À l’inverse, une stratégie de containment agressif risquerait de pousser les BRICS vers un repli identitaire et une radicalisation géopolitique, renforçant les lignes de fracture globales.

En somme, les BRICS incarnent les promesses et les contradictions d’un nouvel ordre mondial en gestation. Leur avenir dépendra de leur capacité à surmonter leurs fractures internes, à s’adapter aux défis globaux et à éviter l’enfermement dans des logiques d’opposition frontale. Qu’ils deviennent un moteur pragmatique de la multipolarité, un bloc contestataire ou un ensemble éclaté, leur trajectoire façonnera profondément les équilibres politiques, économiques et géostratégiques du XXIe siècle.

Conclusion : Les BRICS, entre promesses et défis d’un nouvel ordre mondial

Le sommet de Rio en 2025 confirme l’émergence des BRICS comme un acteur majeur sur la scène internationale. Au-delà de leur poids économique et démographique impressionnant, ils incarnent la volonté croissante du Sud de réinventer la gouvernance mondiale.

Ce groupe hétérogène, mêlant des régimes et intérêts divergents, se présente comme un laboratoire inédit d’une multipolarité en devenir.

Pourtant, cette puissance affichée masque des fragilités profondes. Les différends, parfois aigus, entre membres — notamment entre la Chine et l’Inde — fragilisent la cohésion indispensable à une influence politique durable. La véritable question est de savoir si les BRICS sauront surmonter ces tensions pour porter une vision commune, capable de rivaliser avec un ordre occidental en déclin.

Au-delà d’une simple plateforme de coopération, les BRICS portent l’espoir d’un ordre plus juste, multipolaire et représentatif du Sud global. Leur avenir déterminera en grande partie la recomposition géopolitique du XXIe siècle, oscillant entre fragmentation et unité, confrontation et conciliation. Le monde observe, suspendu à leur capacité à transformer leurs ambitions en un nouveau rapport de forces mondial.

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