Dans le patio d’une maison traditionnelle de Damas, des militants sont réunis et échangent sur le rôle qu’ils entendent jouer au cœur la « nouvelle Syrie ». Pour beaucoup d’entre eux réprimés sous Bachar al-Assad, la société civile est déterminée à s’imposer dans ce virage amorcé en Syrie et afin d’empêcher tout retour à un régime autoritaire.
Depuis le renversement de Bachar al-Assad par un mouvement islamiste radical, le 8 décembre dernier, à l’issue d’une offensive armée, Damas bouillonne de débats et de réunions publiques autrefois interdites, donnant lieu à des retrouvailles émouvantes entre les militants restés au pays et ceux revenus d’un exil parfois forcé.
Premier signe d’un retour au calme tout relatif, le 4 janvier dernier les dirigeants d’une plateforme communautaire réunissant des dizaines d’organisations de la société civile, intitulée « Madaniya », ont rencontré le nouveau dirigeant syrien, Ahmad al-Chareh, afin de présenter leurs doléances.
« Nous avons souligné le rôle essentiel que doit jouer la société civile dans la transition politique », assure la directrice exécutive de Madaniya Sawsan Abou Zainedin, résumant cette réunion lors d’une conférence de presse du collectif.
« Nous avons insisté sur la nécessité de ne pas désigner des personnes d’un seul camp au sein de l’autorité transitoire », ajoute-t-elle alors que le nouvel homme fort de la Syrie, a d’ores et déjà nommé ses fidèles aux postes-clés de son gouvernement de transition.
Sawsan Abou Zaineddin, qui a rencontré le nouveau dirigean syrien en compagnie du fondateur de Madaniya, l’homme d’affaires syro-britannique Ayman Asfari, indique qu’ils ont même évoqué « le problème » de la « nomination de jihadistes étrangers » au sein du ministère clé de la Défense.
Bien que le portrait du nouveau tribun ai déjà fait tourner les rotatives du monde entier, personne n’est dupe : Ahmad al-Chareh est le chef armé d’un groupe islamiste radical, Hayat Tahrir al-Sham (HTS). Bien sûr, la surprise vient plus de celui qui affirme une main sur le cœur, avoir rompu avec le djihadisme. Dont acte.
Toutefois, de l’autre et après avoir revêtu le costume cravate respectable de l’homme d’Etat, ce dernier n’a aucunement tremblé et encore moins concerté pour nommer au moins six jihadistes étrangers à des postes de commandement au sein de la future armée, qu’il entend constituer après la dissolution des groupes armés dans le pays, morcelé par une guerre civile qui a fait en 13 ans plus d’un demi-million de morts.
Un absence de règles constitutionnelles prévoyant une transition
La responsable de Madaniya souligne en outre qu’ils ont demandé « une transparence absolue » dans la préparation de la conférence de dialogue national que le pouvoir entend organiser et notamment dans le choix des participants.
En réponse et se voulant au premier abord consensuel, le nouveau ministre des Affaires étrangères Assaad al-Chaibani, a de son côté assuré qu’une commission élargie allait être créée afin de préparer cette conférence, dont la date n’a pas été annoncée.
« Nous sommes dans une situation de vide constitutionnel, dans une période de transition après 62 ans de règne du parti Baas », explique à l’AFP l’avocat Abdulhay Sayed, les nouvelles autorités ayant gelé la Constitution et le Parlement.
Et pour le juriste plutôt aguerri, la prudence est pour l’heure de mise. Ce dernier est par ailleurs l’un des plus de 300 signataires d’une pétition appelant à des élections libres à l’Ordre des avocats, où d’ores et déjà et sans grande concertation, les nouvelles autorités ont nommé d’office un nouveau bâtonnier remplaçant le précédent imposé par l’ancien régime.
Il souligne que la conférence de dialogue sera « cruciale », à condition que les organisations représentant la société civile ainsi que les syndicats y soient conviés, ce qui permettrait d’instaurer un « contre-pouvoir » et d’empêcher tout retour à l’autoritarisme. En des termes plus clairs mais n’osant le dire trop haut : un régime démocratique.
« La conférence doit établir une feuille de route pour une loi électorale en vue d’élire une assemblée constituante dans un an. Cette assemblée sera chargée de rédiger une Constitution permanente et pourra, par la suite, se transformer en un parlement », préconise-t-il.
Deux salles, deux ambiances : après l’épisode de la poignée de main refusée à l’émissaire allemande lors de la première visite d’une délégation européenne, récemment le nouveau dirigeant syrien affirmait lors d’une interview donnée à la chaîne al-Arabiya, que la tenue d’élections pourrait prendre pas moins de quatre ans ! Alors que le pays est assoiffé de liberté et de renouveau à tous les étages, le temps risque de paraitre bien long…
Les femmes veulent également prendre part à la société en devenir
Le pouvoir cherche cependant à rassurer les Syriens et la communauté internationale sur le respect des droits des minorités, dans un pays multiethnique et multiconfessionnel.
La même demande de participation est relayée par des femmes réunies le 8 janvier à Damas lors d’un congrès du “mouvement politique féministe syrien”.
« Nous voulons et nous rêvons d’un Etat de droit » affirme à l’AFP l’une des participantes, la juriste Joumana Seif, qui travaille sur les crimes de guerre en Syrie.
Cette avocate dont le père, le député Riad Seif, avait été emprisonné par Bachar al-Assad, souligne que les femmes “ont un grand rôle à jouer” dans la nouvelle Syrie et veulent “une participation active à la conférence de dialogue national.
« Nous ne voulons pas d’un nouvel oppresseur », lance à la tribune la militante et écrivaine Wajdan Nassif, qui s’était exilée après avoir été détenue.
« Nous ne voulons plus voir de prisons. Les femmes syriennes veulent participer à part entière (…) à la nouvelle ère en Syrie et nous ne voulons pas la réédition du terrible passé ».