Les finances de l’Union Européenne sont-elles au service des violations des droits de l’homme et des trafiquants ?

par Olivier DELAGARDE
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Un rapport de la Cour des comptes de l’Union européenne ne passionne que rarement les médias, encore moins les foules. Celui qui a été publié ces dernières semaines et qui semble alerter sur l’utilisation du Fonds fiduciaire pour l’Afrique, dont les ressources sont théoriquement affectées à la lutte contre les causes majeures à l’origine des migrations, ne fait pas exception.

A qui bénéficie le fonds fiduciaire pour l’Afrique ?

Mis en place en 2015 en réponse à l’explosion migratoire, ce dispositif dont la technocratie européenne à l’art, est destiné particulièrement à la zone Sahélienne, à la Corne de l’Afrique ainsi qu’à l’Afrique du Nord. Au total, ce fonds a bénéficié de plus de 5 milliards d’euros de contributions, financées par le budget de l’UE, le Fonds européen de développement et les participations annexes des États membres. La Cour des comptes dans ce rapport, vilipende ainsi la Commission en ces termes : “Les risques en matière de droits de l’homme ne sont pas correctement maîtrisés“. Mais plus loin à la lecture fort peu agréable du rapport, une accusation encore plus marquante émerge. Pour la première fois, une institution européenne de contrôle, reconnaît que l’argent de l’UE au travers de ce fonds, termine sa course en finançant des violations des droits de l’homme et, dans certains cas, profite aux organisations mafieuses de « voyages de migrants ». Paradoxe, ces mêmes trafiquants que Ursula von der Leyen et d’autres dirigeants ont promis, à grand renfort de communication, de combattre.

La Commission mise en cause

Dans son communiqué de presse pour ne pas dire son pavé dans la marre, la Cour des comptes n’y va pas avec le dos de la cuillère. Ainsi, elle affirme que la Commission a fermé les yeux sur les abus commis à l’encontre de migrants dans un certain nombre de pays africains bénéficiaires, afin de ne pas avoir à interrompre le flux du Fonds fiduciaire. « Aucun dispositif ne permet de déterminer si ces cas (de violations des droits de l’homme) ont été dûment examinés et pris en compte au moment de décider du maintien ou de la suspension du soutien européen », déclare la haute autorité des comptes. Et ce, en dépit de plusieurs alertes formulées par les auditeurs de l’UE dans le passé. Et d’enchérir que « les précédents rapports n’ont conduit à aucuns « changements majeurs », note la Cour des comptes. Plus globalement, la Commission est accusée de surestimer (pour ne pas dire “embellir”) les résultats des projets financés par le Fonds fiduciaire pour l’Afrique. Mieux encore : l’efficacité du mécanisme est sérieusement remise en cause. “La Commission européenne ne sait toujours pas quelles sont les approches les plus efficaces pour réduire les migrations irrégulières et les déplacements forcés en Afrique, martèle la CCE.

Une clause de suspension non activée

En ce qui concerne les droits de l’homme, la haute instance souligne dans son rapport que “les conditions générales de toutes les conventions de financement stipulent que l’action doit être suspendue si l’UE détecte formellement une violation des droits de l’homme“. Mais cette clause n’a pas été activée dans les faits. Le contrat d’un projet examiné à la loupe par la Cour des comptes, « comportait une clause subordonnant la livraison des équipements au respect du principe de non-agression et des droits de l’homme ». Toutefois, « ajoutée au cours de la mise en œuvre du projet, cette clause ne s’appliquait pas aux équipements déjà livrés ». La Cour des comptes a également analysé que cette clause curieusement, « n’était pas systématiquement appliquée à tous les projets, en particulier ceux liés à la sécurité, à la gestion des frontières ou à d’autres activités sensibles ».

Le cas libyen et le possible détournement de fonds

Que faut-il comprendre concrètement ? Dans un diagramme figurant dans le rapport, la Cour des comptes reprend ce qu’elle intitule les « risques potentiels pour les droits de l’homme posés par la mise en œuvre de diverses activités » financées par le Fonds fiduciaire pour l’Afrique en Libye. Exemple : les bateaux et les équipements fournis aux prétendument “garde-côtes libyens” peuvent servir à des « acteurs autres » que les bénéficiaires. A l’instar des points de débarquement des migrants secourus en mer utilisés par des « acteurs autres » que les garde-côtes. Faute d’une enquête probante, le gendarme des finances se montre prudent et ne nomme pas précisément les « passeurs de misère ». Mais il ne fait aucun doute que derrière son habileté de langage, la Cour pointe clairement du doigt des milices parfaitement organisées, des passeurs et des trafiquants, bien installés dans l’appareil de sécurité libyen. Selon la Cour des comptes, les moyens de transports financés avec des fonds de l’UE et versés aux autorités libyennes, servent à transférer les migrants vers les centres de détention calamiteux, ce qui aggrave les conditions de vie de ceux qui y sont retenus. Les centres de détention peuvent être « sous le contrôle d’acteurs impliqués dans le trafic de migrants », indique le rapport. Les équipements payés avec des fonds européens peuvent parfois être revendus. Le système peut profiter à des « organisations criminelles ».

En Libye, le constat à l’encontre Bruxelles n’est guère nouveau. Plusieurs enquêtes d’observateurs et de confrères portaient un éclairage sur la manière dont les programmes de l’UE favorisaient les violations des droits de l’homme en terminant dans l’escarcelle mafieuse. En 2023, ce sont les Nations Unies qui pointaient déjà du doigt l’UE et ses Etats membres, y voyant un encouragement lors de l’interception des migrants en mer favorisant ainsi les trafiquants d’êtres humains. L’UE et ses États membres ont ainsi fourni « directement ou indirectement un soutien financier et technique et des équipements, tels que des navires, aux garde-côtes libyens et à la Direction de la lutte contre les migrations illégales, qui ont été utilisés dans le cadre de l’interception et de la détention de migrants », indique sans ambages le rapport de la Mission indépendante d’établissement des faits de l’ONU en Libye. Ce même rapport affirme très directement que « de fortes raisons de croire que des hauts responsables des garde-côtes libyens étaient de connivence avec des trafiquants et des passeurs, prétendument liés à des milices, dans le cadre de l’interception et de la privation de liberté des migrants ». Fermez le banc.

Une confusion sur les objectifs

À ce moment, les services bruxellois s’étaient pourfendus d’un communiqué laconique précisant que la Commission ne versait directement aucun fonds au pouvoir libyen. Ce qui n’est pas tout à fait faux, puisqu’une partie des ressources du Fonds fiduciaire pour l’Afrique destinées à la Libye transite tout d’abord par les caisses italiennes. Arguant qu’en 2023 et afin de prolonger le soutien aux garde-côtes libyens, la priorité était de sauver la vie de milliers de migrants en mer. Soit. Même sujet, même affirmation apportée à la Cour des comptes européenne, et toujours le même constat : « La Commission n’a pas suspendu la moindre activité du FFU en Libye à ce jour, estimant que l’aide devait être maintenue pour sauver des vies et atténuer les souffrances des migrants », appui de nouveau le rapport de la Haute juridiction. En toile de fond, la manœuvre consiste bien à faire obstacle aux migrants tentant d’atteindre les côtes européennes tout en permettant aux autorités libyennes une interception dans leurs eaux territoriales. Eléments de langage oblige, l’expression « interception » n’apparait jamais dans les communications officielles, du moins publiques, des instances européennes. Et pour cause : une assimilation à une pratique de refoulement des demandeurs d’asile, serait fort contraire tant au regard droit international, qu’aux règles même du principe d’accueil et de circulation européen.

Il faudra attendre le 25 juin, Ursula von der Leyen se pourfend d’un courrier aux dirigeants des Etats membres de l’UE dont l’objectif est de « faire le point sur le travail accompli concernant la dimension extérieure de la politique migratoire ». Ainsi rédigé en extrait : « Si la coopération avec la Libye reste un défi, la reprise du dialogue avec les autorités libyennes a permis de renforcer (…) les capacités d’interception en Méditerranée centrale », se targue la présidente de la Commission. Ce 25 juin et pour qui sait lire entre les lignes, Ursula von der Leyen reconnait à demi-mot que le véritable but est certes d’épargner des vies en mer, mais bien de les intercepter et de les reconduire avec les conséquences d’un retour aux côtes d’Afrique du nord ici décrites.

Une inertie probable

Le rapport de la Cour des comptes de l’Union européenne va-t-il changer quelque chose ? « Tout continuera comme avant », nous rapporte une source proche des alcôves de la Commission. « La volonté politique est de continuer ». La politique consistant à financer des régimes qui violent les droits de l’homme fondamentaux et le droit international semble parfaitement assumée. La très puissante présidente de la Commission européenne suit-elle le vent soufflé des grandes capitales ? L’Allemagne a réintroduit les contrôles aux frontières de Schengen. La France a un nouveau ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, dont la feuille de route est clairement tracée. La politique de Giorgia Meloni est-elle devenue un modèle de sous-traitance des politiques migratoires ?

Quinze autre Etats membres ont pressé Ursula von der Leyen à des fins de « solutions innovantes ». Quelles injonctions recèlent-elles ?

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