Le 4 novembre 1994, il y a 30 ans, Jacques Chirac annonçait sa candidature à l’élection présidentielle dans La Voix du Nord.
Trahisons et quolibets
Le microcosme médiatique l’accueillit avec scepticisme et même quelques quolibets. Beaucoup étaient acquis à Edouard Balladur. Le Monde n’avait-il pas titré quelques semaines plutôt sur “l’ère Balladur” qui s’ouvrait ? Arlette Chabot se ridiculisera en lui demandant s’il comptait vraiment aller au bout ou plutôt retirer sa candidature.
Les trahisons fleurirent dont la plus importante (et la plus douloureuse) fut celle de Nicolas Sarkozy. Chacun voulait voler au secours de la victoire du candidat qui paraissait déjà élu, Edouard Balladur.
Une équipe de choc, le tandem Séguin-Juppé
Il put compter sur le duo très complémentaire constitué par Philippe Séguin et Alain Juppé. Le premier tira à boulets rouges sur les fortifications balladuriennes et les fit chanceler du “Munich Social” pour qualifier la politique d’Edouard Balladur à la dénonciation d’une élection confisquée : “Une élection, quelle élection ? Circulez, il n’y a rien à voir !”
Le second apporta de la crédibilité, fort de son image d’excellent ministre des Affaires étrangères qu’il était et tint le RPR dont il était Président par intérim. Lorsqu’Edouard Balladur dénonça “les plans de carrière des professionnels de la politique”, Alain Juppé répliqua cinglant “par les temps qui courent, il vaut mieux avoir à faire à des professionnels qu’à des amateurs”.
Les ultra fidèles Jacques Toubon et Jean-Louis Debré prirent tous les risques et furent dans tous les coups pour saper la candidature balladurienne.
La France charnellement
Enchaînant les meeting et connaissant sa France sur le bout des doigts, m2 par m2 Jacques Chirac parvenait enfin à fendre l’armure et à se montrer tel qu’il était vraiment. Il sut gagner la confiance et la sympathie des Français, qu’il aimait profondément, par sa détermination totale. Rien ne le fit dévier de sa trajectoire, inébranlable malgré une campagne extrêmement dure. Inévitable lorsque qu’une famille politique se déchire en interne.
Le dernier grand Président de la Vème République
Jacques Chirac fut le dernier Président de la République à avoir une pratique gaullienne des Institutions : assurer un fonctionnement régulier des pouvoirs publics, l’indépendance et continuité de la Nation, incarner la France à l’étranger et être le chef des armées. Le procès lui fut fait d’être “un roi fainéant”, justement par ceux qui ne respectèrent pas ces institutions : le Président est “homme en charge de l’essentiel” et le Premier ministre celui qui “dirige et conduit l’action du gouvernement.
Jacques Chirac su incarner la France dans toute sa diversité. La France citadine et la rurale, des élites et celle plus populaire. Il ne fit jamais de différence entre les Français et respecta scrupuleusement le principe de la laïcité.
Il eut une politique étrangère et de défense de grandeur dans la tradition gaullienne. Dernier président à connaître les Armées et à aimer les militaires, il n’hésita pas à reprendre les essais nucléaires afin d’assurer “la sûreté, la sécurité et la fiabilité de nos forces de dissuasion”. Il fut celui qui demanda aux militaires Français de cesser d’observer passivement le nettoyage ethnique en Bosnie mais de conserver les positions et répliquer.
La France était aimée et respectée dans le monde, particulièrement par les pays du “Sud”;
Le couple franco-allemand fonctionnait et jouait son rôle moteur pour l’Union Européenne.
Visionnaire, il s’opposa à la folle aventure irakienne prévoyant dans le détail ses conséquences déstabilisatrices pour la région toute entière et sut entraîner une large coalition derrière la France. Nous n’avons pas fini d’en payer le prix. Les mêmes qui aujourd’hui font de l’Iran leur fixation oublient que c’est leur acharnement à détruire l’Irak qui a fortement contribué à libérer la puissance iranienne. Certains n’apprennent rien de leurs échecs répétés.
Jacques Chirac sut être un médiateur, garant du respect et de l’application du droit international, dans le conflit israélo-palestinien. Dès 1996, il répliqua à Netanyahou lors du premier entretien officiel à Paris “Je ne crois pas un mot de ce que vous dites, toute votre politique consiste à provoquer les Palestiniens”. Chaque fois, Jacques Chirac, sut s’interposer pour défendre le Liban quand il fut menacé. Non par des communiqués creux mais des résolutions du Conseil de sécurité votées et appliquées. Jacques Chirac fut aimé et respecté dans chacun des trois pays du Maghreb, qui peut en dire autant ?
Il est peu de dire que sa voix forte et juste, son autorité naturelle, nous manquent cruellement. En France comme à l’international.