Le 22 juillet, les États-Unis ont annoncé leur retrait de l’organisation à la directrice générale de l’UNESCO, Audrey Azoulay. Ce ne fut pas une surprise, des précédents existaient et le retour du président Trump, qui a retiré les États-Unis de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies et de l’accord mondial sur le changement climatique, le laissait présager.
Un peu d’histoire…
Les États-Unis ont été l’un des pays fondateurs de l’UNESCO[1] en 1945, mais s’en sont retirés une première fois en 1984, invoquant le parti pris antiaméricain de l’organisation. Mais en réalité, les véritables raisons pour lesquelles les États-Unis se sont retirés de l’UNESCO à trois reprises n’ont jamais été sincères ni légitimes.
En 1983, la publication du « Rapport McBride », une étude de l’UNESCO sur les problèmes de communication, précipite la première sortie américaine sous l’administration Reagan. Les États-Unis expliquèrent au directeur général de l’époque, Amadou Mahtar M’Bow, que ce retrait était dû à une mauvaise gestion et à « l’introduction d’objectifs politiques dépassant le cadre de l’entreprise commune ». En réalité, il s’agissait de soumettre l’UNESCO aux caprices des grandes entreprises américaines de médias et de télécommunications.
Dès lors, l’UNESCO comprit que l’adhésion des États-Unis relevait d’une stratégie de chantage politique visant à asphyxier financièrement l’organisation. Le temps l’a prouvé. Ainsi, chaque retour des États-Unis à l’UNESCO a été orienté vers l’idée de contrôler une organisation capable de contribuer par ses pratiques et ses connaissances à la consolidation de la paix et au développement, sans soumission idéologique. Ceci explique la raison fondamentale pour laquelle les intérêts de Washington et de l’UNESCO sont politiquement incompatibles. Ceci a été confirmé par la récente déclaration du Département d’État, qui a déclaré : « La poursuite de la participation à l’UNESCO n’est pas dans l’intérêt national des États-Unis. »
Les États-Unis sont revenus à l’UNESCO près de vingt ans plus tard en 2003, sous la présidence de George W. Bush, qui avait alors déclaré que l’agence avait entrepris d’importantes réformes, le déficit budgétaire de l’UNESCO l’ayant contrainte à rechercher des contributions extrabudgétaires auprès du secteur privé et de nouveaux partenaires. En effet, sous les administrations de Federico Mayor Zaragoza (1987-1999) et de Koichiro Matsuura (1999-2009), l’UNESCO a promu de nombreux plans de réforme visant principalement à redéfinir en profondeur sa structure administrative et les programmes de ses cinq secteurs : Éducation, Culture, Sciences sociales et humaines, Sciences exactes et naturelles, et Communication et information.
La stratégie américaine continue d’isoler l’UNESCO
Le retour des États-Unis à l’UNESCO sous la direction du japonais Koichiro Matsuura a marqué un déclin de la vision prospective des programmes de l’organisation, une perte progressive de visibilité et d’impact sur le terrain et l’aggravation de la politisation parmi les États membres. À partir de cette période, les réunions du Conseil exécutif et de la Conférence générale devinrent un véritable champ de bataille entre les différents aires géographiques, qui s’étendit également aux comités sectoriels programmatiques. L’ingérence des États-Unis dans les décisions de l’UNESCO compromettait les progrès de la coopération dans des secteurs clés comme l’éducation et les sciences sociales et humaines dans des pays et régions vulnérables telles que l’Afrique et l’Amérique latine et le Caraïbe.
Mais les États-Unis ont également tenté de contrecarrer l’action internationale de l’UNESCO en utilisant leur position au sein du Conseil exécutif pour bloquer la défense et la protection des sites du patrimoine palestinien contre la destruction israélienne des monuments culturels et religieux. De même, la délégation américaine s’est systématiquement opposée à l’augmentation du financement des programmes d’alphabétisation dans les pays du Sud, à la reconnaissance de l’enseignement supérieur comme bien public et à la déclaration de principes éthiques sur le changement climatique adoptée par l’UNESCO en 2017.
Dans le cadre de cette analyse, on ne peut ignorer que la résurgence du G-77 plus la Chine et du Mouvement des pays non-alignés (MNOAL) au sein de l’UNESCO a représenté un sérieux défi pour les États-Unis et Israël. Ces coalitions de pays du Sud ont réussi à établir une alliance stratégique au sein de tous les organes décisionnels de l’organisation, non seulement en raison de leurs intérêts communs, mais aussi en faveur de la survie de l’organisation. La gestion de la directrice bulgare Irina Bokova (2009-2017), mise en doute par certains analystes quant à son efficacité institutionnelle, a favorisé certains progrès vers la préservation des programmes fondamentaux de l’UNESCO. Un Groupe de gouvernance, dont j’étais l’un des vice-présidents, a permis, malgré l’opposition des États-Unis, de renforcer les méthodes de travail des secrétariats des organes directeurs et subsidiaires, de maintenir leur financement et de mettre à jour plusieurs instruments normatifs de l’organisation.
La reconnaissance de la Palestine par l’UNESCO
Par suite de l’admission courageuse de la Palestine par l’UNESCO en 2011, l’administration de Barack Obama a gelé son financement en vertu d’une loi américaine interdisant de financer une organisation acceptant la Palestine comme membre de plein droit. Cela a entraîné une grave crise de non-paiement qui s’est traduite par une réduction des activités et du personnel international. Malheureusement, le consensus qui existait au sein de l’UNESCO sur l’admission de la Palestine n’a pas été partagé par le reste des Nations Unies, démontrant ainsi que le mandat de l’UNESCO constitue une contribution fondamentale à la consolidation de la paix et de la sécurité internationales.
Les États-Unis se retirent de l’UNESCO pour la deuxième fois et reviennent sans engagements majeurs
En octobre 2017, le président Donald Trump a annoncé le retrait des États-Unis de l’UNESCO, invoquant la partialité de l’organisation envers Israël, peu après que l’UNESCO a approuvé l’inscription de la vieille ville d’Hébron sur la Liste du patrimoine mondial en péril. Dans ce contexte, le retrait américain a représenté un défi majeur pour la directrice élu, la française Audrey Azoulay, élue la même année. Elle a dû entreprendre d’importantes réformes et diversifier ses sources de financement face au déficit résultant de la perte des contributions américains. Cependant, le retour officiel des États-Unis sous l’administration Biden en juillet 2023 ne fut que symbolique, les États-Unis ayant réduit leurs contributions à l’UNESCO de 22 % à 8 %. Cela démontre qu’au-delà des divergences entre gouvernements démocrates et républicains, la vérité est que l’UNESCO est une organisation qui dérange les États-Unis et leur doctrine hégémonique de la « Destinée manifeste ».
Le troisième retrait des États-Unis de l’UNESCO, une hostilité de plus envers le multilatéralisme
Cette décision de Washington, qui entrera en vigueur fin 2026, obéit précisément à la politique de Trump consistant à « revoir » les engagements pris auprès des organismes des Nations unies, ce qui n’est rien d’autre qu’un visant à substituer une stratégie unilatérale au multilatéralisme. Trump a une vision très claire de Business Man, convaincu que le multilatéralisme réduit sa marge d’influence sur ses aspirations, en particulier face à ses adversaires politiques tels que la Russie et la Chine qui ont occupé le vide laissé par les États-Unis dans des organismes tels que l’UNESCO. Trump a donc besoin de réduire l’influence des organismes internationaux qui pourraient contrebalancer sa politique étrangère inspirée par le slogan « America First ». Ce n’est pas un hasard si ce nouveau retrait américain intervient quelques mois avant l’élection d’un nouveau directeur général de l’UNESCO. Cet aspect souligne l’importance pour l’UNESCO de choisir un nouveau directeur général qui connaisse parfaitement l’organisation et ses priorités programmatiques et qui renforce son engagement en faveur de la paix et la défense du droit international.
[1] L’UNESCO compte actuellement 194 États membres.