La fin de l’exception sénégalaise ?

par Erwan Davoux
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Dans une tribune publiée par « Marianne » et « Dakaractu », le 21 mars 2025, je m’interrogeais sur la tentation autoritaire du Parti-Etat Pastef. Hélas, ces craintes se vérifient jour après jour. La démocratie est en crise. Ce pays-phare que fut longtemps le Sénégal est désormais proche du chaos et absent des écrans-radars diplomatiques.

Leopold Sedar Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade, Macky Sall, Bassirou Diomaye Faye.  Cherchez l’erreur ?

Leopold Sedar Senghor père de l’indépendance, homme de lettres et de culture, fondateur de la francophonie.

Abdou Diouf, héritier de Senghor qui a affermi l’Etat et renforcer le vivre ensemble dans des conditions économiques difficiles (ajustement structurel).

Abdoulaye Wade, l’opposant historique qui a consolidé la démocratie sénégalaise et jeté les bases d’un renouveau politique, économique et diplomatique.

Macky Sall , le bâtisseur inlassable du Sénégal moderne et qui le fit rayonner à l’international.

Le Sénégal confronté au populisme

Le très renommé « The Economist » titrait le 16 avril 2025 « Populism meets reality in Senegal » c’est-à-dire « Au Sénégal, le populisme confronté à la réalité ».

Ce titre résume tout. Prêt à tout pour parvenir au pouvoir, faisant les promesses les plus folles et jouant sur un nationalisme dévoyé, le Pastef est aujourd’hui dans une impasse.

La conquête et l’exercice du pouvoir ont deux choses bien différentes. Ni Ousmane Sonko ni Bassirou Diomaye Faye n’avaient jusqu’alors exercé la moindre responsabilité. Il est peu de dire que cette absence d’expérience se manifeste quotidiennement. Le Premier ministre sénégalais est toujours un militant jouant sur les clivages et n’hésitant pas en créer pour dissiper l’absence de résultats. Le Président cherche, lui, à offrir une image plus modérée dans un partage des rôles bien défini car les deux personnalités savent que leur destin est intimement lié.

Impasse financière

L’impasse est d’abord financière : en trafiquant le rapport de la Cour des Comptes, le nouveau pouvoir, déjà peu en cour auprès des investisseurs et des organisations internationales, s’est tiré une balle dans le pied. Le FMI l’a pris à son propre jeu. Pour résumer : nous penons en considération votre rapport mais, par conséquent, nous ne débloquerons pas de fonds tant que les manquements signalés ne seront pas corrigés. L’arroseur arrosé. Que va bien pouvoir accomplir l’exécutif, sachant que les garanties étaient déjà là et le Sénégal considéré comme l’un des pays les plus vertueux de la région ? Ce n’est pas la petite levée de fonds interne qui changera le cours des évènements : son montant ne permet pas de se projeter bien loin et cette épargne sénégalaise va amoindrir le niveau de la consommation nationale. Non, malheureusement ce qui attend le Sénégal est probablement, dans quelques mois, un plan d’ajustement structurel dicté par le FMI avec baisse des salaires, des subventions et des dépenses publiques. Et la crise sociale inévitable qui l’accompagnera. Les souverainistes panafricains vont être contraints de passer sous les fourches caudines du FMI. Un comble !

Impasse économique

Lorsqu’on on entend Ousmane Sonko dire que les droits de douane imposés par Trump (10% suspendus temporairement) seraient une chance pour le Sénégal, on reste interloqués.

Certes les exportations du Sénégal vers les Etats-Unis restent modestes avec 94,3 milliards de FCFA en 2023. Néanmoins qui peut nier que la chute du volume des exportations diminuera les recettes fiscales ? Que moins de recettes fiscales signifie moins de devise et donc un affaiblissement de la monnaie locale ? Qui ignore que la dette est libellée en dollars ? Le tout à un moment extrêmement délicat pour le Sénégal qui cherche (vainement) à renouer avec les marchés internationaux et à renégocier les échéanciers de dette ? Naturelles ces barrières douanières américaines vont avoir un effet domino. La Chine a déjà répliqué et l’Union européenne préparé un paquet de représailles massives dans le cas où Trump ne renoncerait pas. Ousmane Sonko veut-il revenir à l’autarcie et l’âge du troc ? A-t-il des notions d’économie ?

Impasse diplomatique

La voix du Sénégal, autrefois la fierté du continent à l’international est muette. Quel résultat pour la tournée du Président Bassirou Diomaye Faye en Arabie Saoudite ? Aucun. Quel rôle dans la crise entre la RDC et le Rwanda ? Aucun.

L’impasse est, enfin, politique.

Le délit d’opinion devient la norme. Le Premier ministre n’a-t-il pas déclaré devant la représentation nationale que si la parole était libre cela comportait nécessairement des conséquences ? Dites ce que vous voulez, nous prendrons les mesures de représailles que nous voulons. Opposants, journalistes, intellectuels n’ont qu’a bien se tenir, à défaut c’est la case convocation au Commissariat. Comme dans tous les régimes autoritaires, la presse est contrainte de s’autocensurer et subit, malgré cela, des manœuvres d’intimidation fréquentes.

Macky Sall, l’homme providentiel ?

Face à ces échecs répétés, la seule stratégie est de décrier et chercher à salir Macky Sall dont l’ombre plane toujours sur le Sénégal et dont les succès à l’international devrait constituer un motif de légitimes fierté pour les Sénégalais. Au lieu de cela, le Parti-Etat réagit par un rapport bidonné de la Cour des Comptes, nous en parlions, mais aussi la mise en accusation pour « haute-trahison » d’autant plus farfelue qu’une telle procédure n’existe pas… Par un député-militant peu crédible dont le fanatisme est le seul moteur et piloté, chacun le sait, par Mimi Touré. L’interrogation sur le fait que Macky Sall aurait interrogé le Conseil Constitutionnel sur un troisième mandat a été un nouveau fiasco. La réponse du Conseil Constitutionnel (cf photo) est un désaveu cinglant. Le Pastef tel un inspecteur de police aux abois, sans indices et sans preuves, jette son filet partout en espérant récolter des prises miraculeuses.

Il est vrai que L’« Absent le plus présent de Dakar » comme le qualifiait « Le Monde Afrique » est sur toutes les lèvres. Macky Sall, comme ses prédécesseurs a choisi de s’éloigner du pays après avoir renoncé à briguer un nouveau mandat. Mais, contrairement à ces derniers, il a quitté le pouvoir dans la force de l’âge. Il inquiète naturellement le couple Faye-Sonko tant il apparait, d’ores et déjà, comme le seul recours crédible d’un pays à la dérive complète. D’où l’énergie consacrée par le Pastef à tenter de rendre celui-ci impossible. La boucle est bouclée. Mais le peuple demeure le seul souverain et le maître de son avenir.

Macky Sall semble ne pas avoir encore fait de choix entre retour politique et fonction prestigieuse à l’international. Le temps joue pour lui et les manœuvres de ses détracteurs font de lui, en réalité, l’homme providentiel.

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