Les défis géopolitiques de l’ONU, 80 ans après

par David OSORIO
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Le multilatéralisme, fondé sur la coopération entre les pays, a été pendant des décennies la base du système international moderne. Des institutions comme l’Organisation des Nations Unies (ONU) ont été des piliers dans la construction d’un ensemble de forums spécialisés destinés à favoriser la diplomatie, la négociation et la gestion des conflits. Cependant, ces dernières années, ce modèle connaît une profonde crise, marquée par des tensions géopolitiques, l’inefficacité et la perte progressive de légitimité.

1. ORIGINES ET OBJECTIFS DU MULTILATÉRALISME

Le multilatéralisme est né après la Seconde Guerre mondiale comme réponse à la barbarie et à la dévastation mondiales, avec l’objectif ferme de prévenir de futurs conflits. L’ONU, fondée en 1945, avait pour objectifs principaux :

  • Maintenir la paix et la sécurité internationales
  • Favoriser la coopération économique, sociale et culturelle entre États
  • Garantir la protection des droits de l’homme et promouvoir le développement durable

Pendant la Guerre froide, malgré les tensions entre les blocs, l’ONU a fonctionné comme une entité neutre pour la diplomatie et la résolution des conflits, consolidant l’idée que les problèmes mondiaux nécessitent des solutions consensuelles.

2. FACTEURS DE LA CRISE ACTUELLE

Une géopolitique fragmentée : multipolarité vs unipolarité

Le système international contemporain se caractérise par une multipolarité émergente, avec des puissances comme la Chine, la Russie et l’Inde remettant en question l’hégémonie occidentale et la prise de décision centralisée au Conseil de sécurité. Cela a provoqué l’apparition de nouveaux blocs qui, face à l’immobilisme opérationnel de l’ONU, agissent en parallèle pour établir des murs de containment géopolitiques face à l’Occident, notamment les États-Unis et l’Union européenne. Mais en même temps, l’Occident se montre dispersé, divisé et peu cohérent sur une bonne partie des questions de l’agenda international, telles que la guerre en Ukraine, les conflits au Moyen-Orient et en Afrique centrale, les migrations et le changement climatique, entre autres. Cela a permis le renouveau des États-Unis avec le second mandat du Président Trump, dont l’administration cherche, par des pressions économiques et tarifaires, à imposer un nouvel ordre unipolaire.

Inefficacité institutionnelle et bureaucratie coûteuse

L’ONU fait l’objet de sévères critiques concernant sa lenteur et la complexité de ses institutions. Des missions de maintien de la paix qui se prolongent pendant des années sans résoudre les conflits, ou des programmes d’aide affectés par la corruption ou la mauvaise gestion, érodent la confiance de la communauté internationale. À cela s’ajoute l’énorme taille de sa bureaucratie, qui dépasse 130 000 employés dans le monde, et le poids que cela représente dans le budget des agences du système.

Nationalisme et non-respect du droit international

La montée des politiques nationalistes et protectionnistes a affaibli le multilatéralisme. Les gouvernements priorisent leurs intérêts internes face aux engagements globaux, limitant le respect des traités internationaux et des accords multilatéraux. Cela constitue une atteinte au droit international, lequel manque par ailleurs d’instruments contraignants pour sanctionner les violations de l’ordre juridique, notamment dans le domaine des droits de l’homme.

Problèmes structurels et crise de non-paiement

La conception institutionnelle de l’ONU, notamment le système de veto au Conseil de sécurité, complique la prise de décisions rapides et consensuelles. Cela génère de la frustration parmi les pays cherchant des solutions urgentes aux crises humanitaires ou aux conflits armés. C’est sans aucun doute le résultat de l’augmentation de la politisation de tous les organes des Nations Unies et d’une dangereuse confrontation géopolitique marquée par le chantage et les intérêts géoéconomiques. Tout cela a entraîné une dysfonctionnalité du système, se manifestant par la diminution du paiement des cotisations et contributions des États membres aux organismes de l’ONU. Face au manque de liquidités, l’ONU a été contrainte d’appliquer un plan de coupes drastiques en raison de la réduction des contributions financières américaines approuvée par le Président Trump en mai de cette année, ce qui risque de laisser l’ONU sans ressources pour payer les dépenses et salaires du dernier trimestre 2025.

Aggravation de la crise humanitaire et incapacité à freiner l’armement

L’ONU n’a pas réussi à stopper l’expansion des colonies israéliennes en Palestine, malgré des résolutions exigeant leur cessation. Israël a ignoré ces demandes, tandis que la violence et l’occupation s’intensifient. À Gaza, la situation est encore plus grave, puisque 93 % de la population est en crise alimentaire. La faible solidarité internationale contraste avec l’augmentation exponentielle de la course aux armements, qui privilégie les dépenses de défense sous la pression des grandes entreprises d’armement, impulsant la modernisation des arsenaux avec de nouvelles technologies. À cet égard, l’autorité des Nations Unies dans ce domaine a été éclipsée par les décisions unilatérales des pays concernés.

Une coopération de plus en plus dépendante du secteur privé

Le déficit budgétaire des Nations Unies a conduit à recourir au secteur privé pour soutenir la coopération internationale. Cependant, l’implication croissante des entreprises dans les programmes de coopération constitue dans certains cas une dénaturalisation de leurs objectifs, qui pourraient être influencés par les intérêts des donateurs.

3. CONSÉQUENCES DE LA CRISE DES NATIONS UNIES

Le manque de rapidité et, dans certains cas, la duplication des mécanismes de coopération des Nations Unies et de ses différentes agences, a mis en évidence une énorme difficulté de coordination internationale, notamment face aux problèmes transnationaux tels que les pandémies, les migrations ou la lutte contre le terrorisme et le crime organisé. Par ailleurs, il existe une érosion évidente de la légitimité du système des Nations Unies en raison de l’absence de mécanismes multilatéraux efficaces pour la médiation et la résolution des conflits. Cela a conduit les différents blocs à adopter leurs propres mécanismes en marge des instruments de l’ONU.

4. CONSTRUIRE UNE FEUILLE DE ROUTE ENGAGÉE DANS LA RÉFORME

De nombreux experts ont formulé des propositions visant à revitaliser le multilatéralisme et le système des Nations Unies. Depuis cette tribune d’opinion, nous partageons la nécessité d’avancer vers une réforme du Conseil de sécurité, impliquant une révision du droit de veto et l’attribution d’une plus grande autorité et caractère contraignant aux résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies. Il est également fondamental de renforcer les compétences, l’autonomie et les budgets des organismes spécialisés de l’ONU et de ses différents bureaux et programmes, tels que l’UNESCO, la FAO, l’ONUDI et le HCR, entre autres. L’ONU doit aussi renforcer ses liens avec les alliances régionales telles que l’UE, l’OEA, le MERCOSUR, l’ASEAN et l’Union africaine, afin d’améliorer et d’élargir les schémas de coopération existants. Enfin, il est impératif d’assurer la transparence et les mécanismes de reddition de comptes grâce à l’utilisation de technologies et de systèmes de contrôle internationaux.

CONCLUSIONS

La crise du multilatéralisme est transversale et symptomatique d’un modèle épuisé. Les nouveaux défis géopolitiques exigent précisément une mise à jour immédiate et un engagement renouvelé des États membres. Il est clair que, dans un monde interconnecté, aucun pays ne peut affronter seul les problèmes mondiaux. 80 ans après la fondation des Nations Unies, il faut comprendre que sa revitalisation doit avant tout surmonter la résistance des grandes puissances, qui craignent de perdre leur influence et leur leadership. Les réformes politiques et administratives doivent être inclusives afin de progresser vers la construction d’une gouvernance mondiale engagée pour la paix, la sécurité et le développement.

Le Secrétaire général des Nations Unies et ses homologues des autres organismes multilatéraux pourraient constituer un comité de haut niveau pour harmoniser les fondements de la réforme et établir un plan d’action permettant, par le dialogue direct avec les gouvernements, de restaurer la confiance et la cohésion du système des Nations Unies et de lever les obstacles diplomatiques, politiques et financiers qui ont provoqué le déclin et la décadence des institutions internationales.

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