Manipulations constitutionnelles, candidatures verrouillées, dérives autoritaires, coups d’État militaires… Dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, les règles du jeu démocratique sont bafouées. Et si la démocratie, loin d’être consolidée, était aujourd’hui à reconstruire ? Analyse.
La démocratie, longtemps présentée comme l’horizon politique des sociétés africaines, semble aujourd’hui vaciller en Afrique de l’Ouest. Alors que les citoyens réclament justice, transparence et participation inclusive dans l’avenir de leur pays, les institutions censées garantir ces droits s’effondrent sous le poids des dérives politiques. Dans plusieurs pays, le respect des principes démocratiques fondamentaux n’est plus qu’un simulacre.
Depuis 2020, la sous-région est secouée par une vague de coups d’État militaires – Mali, Guinée, Burkina Faso, Niger – qui témoignent d’un désenchantement profond. Ces prises de pouvoir brutales sont souvent justifiées par l’avancée du terrorisme, la corruption ou l’inefficacité des gouvernements civils à améliorer les conditions de vie des populations. Mais elles débouchent rarement sur des transitions démocratiques solides. Le pouvoir reste concentré et prolongé entre les mains de militaires peu enclins à restituer la parole au peuple.
Mais au-delà de ces ruptures visibles, d’autres menaces plus insidieuses pèsent sur la démocratie : celles orchestrées par des régimes civils qui manipulent la loi pour pérenniser leur pouvoir.
Constitutions modifiées, oppositions neutralisées
En Côte d’Ivoire, la réforme constitutionnelle de 2016, censée limiter les mandats présidentiels, a finalement permis à Alassane Ouattara de se présenter une troisième fois en 2020, déclenchant une crise politique majeure. À l’approche de l’élection de 2025, les tensions refont surface, notamment autour de la participation de certains candidats de l’opposition, liée à des décisions judiciaires qu’ils jugent arbitraires et qu’ils contestent.
Quant au Togo, il illustre l’extrême personnalisation du pouvoir. Après près de vingt ans à la tête de l’État, Faure Gnassingbé reste encore aux commandes via une réforme constitutionnelle controversée instaurant un régime parlementaire. Adoptée sans référendum, cette réforme éloigne davantage les Togolais des centres de décision.
Des règles foulées aux pieds
Ces pratiques révèlent un point commun : le mépris des règles du jeu. Or, une démocratie n’existe que si les règles sont respectées – qu’elles soient électorales, constitutionnelles ou institutionnelles. Lorsqu’elles sont continuellement réécrites ou contournées, la confiance populaire s’érode. Et avec elle, la légitimité du pouvoir.
Il faut affirmer sans ambiguïté : le respect des règles établies doit être un principe non négociable. Aucune stabilité durable ne peut se construire sur le mépris des institutions ou sur la marginalisation de l’opposition.
Des questions à poser… et des réponses à construire
Face à ce constat, plusieurs questions méritent d’être soulevées :
- La démocratie en Afrique de l’Ouest est-elle en recul ? Oui, si l’on observe les tendances lourdes : coups d’État récurrents, réformes de convenance et rétrécissement de l’espace civique.
- Pourquoi les coups d’État sont-ils parfois accueillis avec soulagement ? Parce qu’ils apparaissent, dans certains contextes, comme la seule échappatoire à des systèmes verrouillés. Ce phénomène traduit un déficit profond de légitimité des régimes civils.
- Les révisions constitutionnelles à répétition sont-elles contre le peuple ? Elles le deviennent lorsqu’elles visent exclusivement à conserver le pouvoir, au détriment de l’alternance et de l’équité électorale.
- La communauté internationale est-elle complice ? En tolérant certains abus au nom d’une prétendue stabilité, elle donne un blanc-seing à des régimes autoritaires. Le soutien international devrait être conditionné à des avancées concrètes et mesurables.
- Que peut faire la société civile ? Jouer son rôle. Elle doit s’organiser, se former, protéger ses leaders, et construire des alliances régionales. Son rôle de contre-pouvoir est plus crucial que jamais.
Une démocratie à rebâtir
L’enjeu n’est pas d’imposer un modèle occidental, qui lui-même a son lot de failles et d’incongruités, mais de garantir que les règles librement adoptées par les peuples africains soient respectées. Car une démocratie ne se mesure pas seulement à la tenue d’élections : elle repose sur l’indépendance des institutions, l’alternance réelle, et la possibilité pour tous d’y participer.
La démocratie ouest-africaine ne doit pas mourir à petit feu. Elle mérite d’être défendue, consolidée, repensée. Et surtout, elle mérite mieux que d’être reléguée à un simple outil de légitimation pour des régimes sans vision.