Le 14 octobre 2024, Sébastien Lecornu, ministre des Armées, a été entendu par la commission de la Défense de l’Assemblée nationale sur le choix de confier les supercalculateurs, l’IA de nos armées, à Hewlett-Packard plutôt qu’à Bull. Une décision de l’exécutif qui interroge, notamment en terme souveraineté nationale.
« Lecornichon » (comme le surnomme affectueusement Nicolas Sarkozy), ne s’y est pas présenté les mains dans les poches. Bien conscient de la gravité des sujets à aborder, il a, semble-t-il, tout fait pour que les parlementaires ne soient pas trop incisifs, en s’appuyant sur l’influence de son conseiller parlementaire, Mallo Trica qui a déminé H24 le week-end précédent. En arrière-plan, une stratégie bien rodée visant à adoucir les angles de cette audition sensible.
Lecornu, accusé par certains de vouloir dénigrer l’offre industrielle française, s’était appuyé sur les conseils d’une star de Google (Bertrand Rondepierre) promu à la tête de l’AMIAD. Cette stratégie a rapidement montré ses limites. Les industriels français, bien au fait des enjeux stratégiques ne sont pas dupes devant la promotion d’une une vision pro-américaine, éloignée des intérêts nationaux. Ceux qui défendaient bec et ongles l’offre française, notamment de nombreux anciens de l’IHEDN, ont vu (un hasard ?) le budget de cette l’institution fortement réduit. S’agissait-il de représailles à l’encontre des fondeurs ? Le message a été reçu comme tel.
Devant la Commission de la Défense, Lecornu a encore une fois joué avec ses mimiques qui ne font pas plus rire et n’a pas hésité à dénoncer ce qu’il appelle le “lobby” qui s’oppose à ses choix. Dans une maladresse qui semble presque révélatrice, le ministre paraît découvrir le patriotisme et l’expertise des anciens de l’IHEDN, non corruptibles et dont les critiques acerbes heurtent son approche rigide. N’ayant jamais véritablement été remis en question dans son ministère, Lecornu (qui n’avait déjà pas brillé lorsqu’il était en charge de l’Outre-Mer) semble avoir pris l’habitude de se considérer comme un expert de la chose militaire, un titre que de nombreux hauts gradés lui contestent volontiers mais en silence par peur des représailles administratives.
Ce n’est pas la première fois que le cabinet militaire se retrouve au cœur d’une tempête. Déjà, en août 2023, lors du dossier Atos, des voix s’étaient élevées pour dénoncer sa complaisance vis-à-vis d’investisseurs étrangers, notamment dans le plan “2K” (Kretinsky-Kohler). En effet, le 16 aout 2023 nous apprenions que Daniel Kretinsky venait de mettre la main sur une filière cruciale d’Atos, dans la plus grande discrétion politique. Le milliardaire tchèque avait été reçu par Alexis Kohler et Emmanuel Macron quelques semaines auparavant. Le fleuron français cédait ses activités de conseil à Daniel Kretinsky tout en lui ouvrant 7,5% du capital de la filiale stratégique Eviden. Les propositions françaises et européennes de reprises étaient donc éconduites. Les opposants à ce rachat s’en souviennent encore….
Aujourd’hui, les grands patrons de l’industrie de défense sont consternés. Si aucun n’ose l’affirmer publiquement, Lecornu est vu comme un ministre bien sympathique, qui n’hésite pas à faire des imitations hilarantes qui amusent tant Emmanuel Macron mais largement dépourvu de l’autorité nécessaire pour diriger les Armées en ce moment. “Il n’a pas l’étoffe d’un chef“, confie en privé un industriel influent. « Il faut qu’il parte » déclare un grand chef militaire. Le milieu des armées oscille entre désillusion et exaspération. Un haut gradé, excédé par ce qu’il perçoit comme une profonde incompétence, ironise en suggérant que Lecornu « passe un ǪCM sur l’IA ». Le résultat serait édifiant, pleure-t-il.
Et c’est là que le bât blesse. Lecornu, ancien étudiant en Droit, semble mal préparé à gérer des dossiers d’ingénierie d’une telle complexité. Dans des affaires aussi graves qui mettent en jeu la souveraineté nationale, où se prennent réellement les décisions ? Qui les prend ? A l’aune de quels intérêts ?