Les Outre-mer n’ont jamais semblé être une préoccupation majeure pour Emmanuel Macron. Mais, selon Erwan Davoux, rédacteur en Chef de Geopolitics.fr, ancien chargé de mission à la présidence de la République, la nomination de François-Noël Buffet, fin connaisseur des territoires ultra-marins, pourrait changer la donne, et permettre d’apporter enfin des éléments de réponse à la problématique inflammable de la « vie chère ».
Les résultats du second tour de la dernière élection présidentielle dans les Outre-mer traduisent une désaffection profonde pour le macronisme, encore plus marquée qu’en Métropole. Le cas de la Martinique, territoire sur lequel les émeutes contre la « vie chère » ont pris le plus d’ampleur, est particulièrement éloquent : Emmanuel Macron y avait obtenu 77,5 % des suffrages contre Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2017.
En 2022, le résultat s’est totalement inversé puisque la présidente du Rassemblement national a obtenu 60,9 % des suffrages contre 30,1 % au Président de la République. Le tout grâce à une abstention record (plus de 50 %). Le malaise est profond, avant tout d’ordre politique, et se traduit par un rejet massif du pouvoir en place.
L’arrivée de François-Noël Buffet pourrait changer la donne : les Outre-mer ont désormais à la fois un vrai ministre, rattaché au Premier ministre, et un excellent connaisseur de ces questions.
Le nouveau ministre a d’ailleurs souvent accusé l’exécutif de ne pas tenir compte des rapports sénatoriaux sur la question, pourtant édifiants. Alors qu’en Métropole le pouvoir d’achat est un sujet majeur, le problème des Outre-mer et, particulièrement, de la Martinique, se pose avec une acuité démultipliée : en 2022, l’INSEE évalue à 14 % l’écart global entre le coût de la vie dans l’Hexagone et dans les départements d’Outre-mer.
Concernant la Martinique, les prix alimentaires y sont 40 % plus élevés qu’en Métropole (36 % pour la Réunion). Alors même que la population vivant en dessous du seuil de pauvreté est quasiment le double qu’en Métropole : 27 % en Martinique contre 15 % dans l’Hexagone. Pour beaucoup, les loisirs ne sont qu’un lointain souvenir. Pour d’autres la question de la malnutrition est posée.
Des coûts élevés
Une aberration totale, un cocktail explosif qui suscite un vent de révolte plus que légitime et qui ne résorbera certainement pas par la répression pure et simple. Le maintien de l’ordre n’a aucune efficacité contre les injustices de cette nature et de cette ampleur.
Les marges de la grande distribution comparables à celles de Métropole.
Il est d’usage d’accuser la grande distribution de réaliser des marges excessives. Qu’en est-il aux Antilles ? Selon l’Autorité de la concurrence, les marges réalisées aux Antilles sont du même niveau que celles en Métropole (Avis n° 19-A-12 du 4 juillet 2019). La grande distribution n’est donc ni plus ni moins coupable qu’en Métropole. Ce sont davantage les spécificités des territoires ultramarins qui sont en cause et qui devraient bénéficier d’effets correctifs de grande ampleur de la part des pouvoirs publics.
La cherté de la vie en Martinique trouve son origine dans le caractère insulaire de ce marché, créant des contraintes structurelles dont les principales sont la taille limitée du marché (360 000 habitants) et l’éloignement géographique par rapport aux sources d’approvisionnement. En effet, on estime qu’environ 75 % des références présentes en magasin sont importées directement ou indirectement.
Le coût d’acheminement d’un container s’élève en moyenne à 5 000 euros, indépendamment de la valeur des produits qu’il contient puisque le fret est facturé au volume. Dès lors, plus la valeur unitaire du produit est faible, plus le transport représentera une part importante dans le prix de revient. Cela a pour conséquence d’augmenter substantiellement le coût de revient des produits de première nécessité et d’impacter beaucoup moins les produits à forte valeur. Un comble en matière de justice sociale !
À ces coûts de transport s’ajoutent les taxes d’octroi de mer qui varient selon la marchandise (à titre d’exemple 9,5 % sur les pâtes et 22 % sur le riz). Sans nier le rôle important de l’octroi de mer (protéger la production locale et contribuer au financement des collectivités locales), il a pour effet de renchérir significativement le prix de revient des marchandises importées.
Enfin des réformes structurelles ?
Des initiatives ponctuelles ont été prises ou sont prises. Ainsi, Le groupe CMA CGM a décidé en 2022 et jusqu’à fin 2023 d’appliquer une baisse de 750 € par container de 40 pieds. De même, la récente décision prise par la collectivité territoriale de Martinique (CTM), de supprimer une taxe sur les biens importés pour des milliers de produits de première nécessité va dans le bon sens. Elle consiste en une suppression des taux d’octroi de mer sur 54 familles de produits essentiels, représentant plus de 5 900 articles de première nécessité (pâtes, conserves, couches, etc.)
Mais cette réponse est temporaire et non structurelle (le dispositif est prévu pour durer trois ans). C’est de réformes structurelles dont ont besoin les Ultramarins et d’une vision d’ensemble dans laquelle les protagonistes ne se renvoient pas la responsabilité. L’intervention de l’État pour réformer et coordonner le système est indispensable si l’on souhaite que les Ultramarins soient des citoyens à part entière et non ramenés au rang de « confettis de l’Empire ».
Il pourrait être opportun de mener une réflexion d’ensemble en créant une politique de « continuité territoriale » qui consisterait à effacer ou compenser tout ou partie des surcoûts liés à l’éloignement concernant les produits alimentaires. Une telle mesure aurait naturellement un impact budgétaire mais relèverait d’une décision d’orientation stratégique, éminemment politique. Un tel dispositif existe en Corse où quelque 187 millions sont alloués chaque année par l’État au titre de la continuité territoriale (pour 340 000 corses), alors que seuls 45 millions ont été accordés à ce titre en 2023 pour l’ensemble des Outre-mer (soit 2,8 millions d’habitants). Ainsi, selon le Rapport d’Information du Sénat (mars 2023) sur « la continuité territoriale », le modèle corse serait probablement riche d’enseignements pour les territoires ultramarins.
L’autre piste majeure serait le recours à la péréquation des frais d’approche et la fiscalité, notamment par le biais de la suppression des coûts de fret et de l’octroi de mer pour près de 2 500 produits de première nécessité. Ce dispositif ciblé (préservant la production locale) serait neutre pour les transporteurs maritimes et collectivités. En effet, Les recettes non perçues sur l’importation de ces produits seraient répercutées sur des produits plus onéreux, plus susceptibles d’absorber les coûts d’approche, ou sur des produits moins vitaux. Cela suppose de sortir du prix unique pour les containers transportés et que les collectivités locales acceptent de revoir la ventilation de l’octroi de mer. Selon les premières estimations, ce scénario pour la Martinique permettrait la baisse de plus de 20 % du prix de vente de plus de 2500 produits de première nécessité.
Enfin, la troisième piste vise à favoriser la production locale. L’impact direct sur les prix de vente aux consommateurs serait probablement positif mais, surtout, cela permettrait de créer de l’activité, des emplois, et donc, du pouvoir d’achat. L’ensemble de la filière agricole pourrait travailler à une réorientation progressive des cultures vers la consommation locale. L’heure n’est plus à l’attentisme. Soit l’État prend les choses en mains et manifeste sa volonté que les habitants des territoires ultramarins soient considérés comme des citoyens à part entière, soit la désaffection vis-à-vis des pouvoir publics, de la classe politique sera irréversible et mènera à des lendemains porteurs de tous les dangers.