Après son expulsion de la zone sahélienne, la France sur la corde raide au Sénégal

par Erwan Davoux
13 minutes lire

Il y eut le malheureux et indélébile « Homme africain pas suffisamment entré dans l’Histoire » de Nicolas Sarkozy à Dakar, en novembre 2007. Néanmoins, c’est sous le quinquennat de François Hollande que débute l’approche purement sécuritaire du continent africain et les comportements déplacés, le tout ne faisant que s’amplifier depuis les présidences Macron. Résultat, la France est chassée de son ancien « pré-carré » ne restent que le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Pour combien de temps encore ?

POURQUOI LA FRANCE A-T-ELLE ÉTÉ BANNIE D’AFRIQUE DE L’OUEST ?

L’expulsion humiliante de la zone sahélienne et le rejet généralisé en Afrique de l’Ouest sont moins l’expression d’un sentiment anti-français qui ne s’est manifesté que tardivement et de manière modérée que le rejet massif, lui, d’une politique sans cap, paternaliste et la répétition de comportements condescendants et déplacés.

Certes la colonisation britannique et la colonisation française furent des modèles très différents. Mais comment se fait-il que le Royaume-Uni, ex grande puissance coloniale ne soit pas victime du même rejet dans ses anciennes colonies ? Comment se fait-il que ce sentiment se manifeste de manière si virulente auprès d’une jeunesse africaine qui n’a pas vécu la période coloniale ?

Durant ma campagne des élections législatives de 2017, dans la 9ème circonscription des Français établis hors-de-France, j’ai sillonné l’Afrique de l’Ouest et je fus frappé par ces critiques incessantes de la politique française. On reprochait tout à la fois à la France une politique néocolonialiste mais aussi une prise de distance, de ne pas assez intervenir ou de ne le faire que pour piller des richesses, de se désintéresser de l’Afrique ou au contraire de ne pas la laisser prendre une « vraie indépendance ». Tout et son contraire en somme.

La prise de conscience du recul de notre influence a été très tardive

Longtemps, la France a négligé le travail de sape effectué par la Russie et l’offensive de la Chine et la Turquie à son endroit. Ce n’est que très récemment et trop tardivement que la France a (enfin) décidé de réagir par des moyens qui ont le mérite d’exister mais qui restent modestes. La Chine construit des Instituts Confucius partout dans lesquels les cours de chinois sont gratuits ; la Turquie dispose de son propre réseau d’enseignement et bénéficie de l’action dynamique de la Fondation Maarif ; la Russie place ses sociétés de sécurité et réadopte une posture frontalement hostile au « bloc occidental » qui lui vaut une certaine popularité. La France, elle, rabote dans ses budgets d’enseignement à l’étranger, fait payer très cher les formations en français et se montre, en réalité, incapable de répondre à la demande de français toujours très forte. Alors même que l’avenir de la francophonie se joue sur le continent africain ! Les difficultés posées aux étudiants pour venir effectuer un cursus en France (de la « circulaire Guéant» à la ridicule disposition contenue dans la loi immigration sur la nécessité d’une « caution », fort heureusement censurée par le Conseil Constitutionnel), l’augmentation des  frais de visas et la longue procédure pour obtenir enfin un rendez-vous consulaire. La France s’est ingéniée à détruire son soft power. La prise de conscience de cette situation a été tardive et il faut louer certaines initiatives récentes : La création au MEAE d’« une sous-direction veille et stratégie » qui doit permettre de renforcer les moyens de la diplomatie française dans la «  guerre informationnelle ; un média spécifique destiné à contrer les « fakes news » est en création ; enfin la volonté de redonner des moyens importants à Expertise France (désormais sous la tutelle de l’AFD) pour redynamiser la coopération et le savoir-faire des experts français à l’étranger. Ce sont autant d’initiatives positives. Mais le retard est colossal et surtout il ne peut être efficace qu’en support d’une politique africaine appréciée. Or, tel n’est pas le cas.

 Les politiques de François Hollande et d’Emmanuel s’inscrivent dans une continuité d’échecs. Le tout sécuritaire au détriment du politique.

Tout d’abord, il n’est pas faire injure aux deux intéressés que de constater qu’ils n’avaient aucune expérience africaine significative avant de prendre leurs fonctions. Il est d’autant plus curieux qu’ils n’aient pas choisi de s’entourer de diplomates chevronnés, experts du contient mais privilégient l’allégeance politique. Chirac et Sarkozy ont pu compter sur Michel Dupuch, Michel de Bonnecorse, Bruno Joubert, André Parant de grand ambassadeurs, reconnus. François Hollande et Emmanuel Macron choisiront, eux, des diplomates n’ayant jamais été ambassadeurs. L’appartenance à la promotion “Léopold Sedar Senghor” de l’ENA ayant valeur de Sésame, Franck Paris, très critiqué durant toute la période où il fut à la tête de la cellule africaine et surnommé « l’homme qui connait mieux Bruxelles que l’Afrique », n’aura pas laissé un souvenir impérissable dans les capitales africaines.

Au-delà des hommes, il y a un biais, un tropisme, purement militaire. En effet, La politique de François Hollande vis-vis de l’Afrique dont Jean-Yves Le Drian fut le grand metteur en scène, se sera étroitement cantonnée à la seule sphère sécuritaire sans vision politique concomitante.  Certes, François Hollande eut à gérer les conséquences terribles de l’affaire libyenne et du déferlement d’armes dans la région. Etait-ce une raison pour oublier qu’une crise militaire ne peut avoir qu’une résolution politique ? C’est le malheur de nos amis africains qui lui a permis d’exister, au Mali comme en République centrafricaine. La stabilisation, la construction d’un processus politique réaliste et inclusif sont relégués au second plan. Au Mali où la France est intervenue tardivement, de manière totalement isolée et sans rien à proposer pour l’après, sans parvenir à mettre autour de la table les principaux Etats concernés. Comment s’étonner, dans ces conditions, des accusations faciles de néo-colonialisme ?

Le Président français ira jusqu’à déclarer au Sommet Afrique-France de Bamako en janvier 2017 : « La France ne recherche pas d’influence en Afrique » faisant probablement pleurer de rire ou de joie nos compétiteurs chinois, russes et turcs.

La politique d’Emmanuel Macron, toujours très tributaire de Le Drian, se situera dans la continuité. De la fin de Barkhane à l’expulsion humiliante du Niger, le politique aura été totalement défaillant. On croit rêver lorsque l’on entend Emmanuel Macron, le 24 septembre dernier, estimer nécessaire, grand seigneur, d’absoudre nos militaires pour Serval, Barkhane puis le piteux retrait du Niger ou lorsqu’il pense se racheter en chargeant la DGSE. La seule responsabilité de cet échec est politique, un échec coconstruit par François Hollande et lui-même ! L’armée française, elle, a été à la hauteur. Ses missions ont été mal définies et calibrées par l’autorité politique.

L’erreur d’appréciation monumentale qu’aura été la tentative d’actionner la CEDAO pour chasser les putschistes nigériens du pouvoir n’est pas prête d’être oubliée. Comment a-t-on pu sérieusement croire que des soldats africains allaient tirer sur leurs frères nullement menaçants ? Au Niger, toutes les erreurs ont été commises et d’autant plus marquées qu’a discours martial a suivi une reculade de la France.

Cette bévue est à l’origine directe de la création de l’Alliance des Etats du Sahel, regroupant les trois Etats rebelles (Mali, Burkina, Niger) qui ont officiellement quitter la CEDAO et donc considérablement affaibli cette dernière.

Des comportements totalement inadaptés aux relents coloniaux

Au-delà de de l’inexpérience, de l’absence de vision et de cohérence, il y a des mots, des attitudes, des comportements qui peuvent blesser et ruiner la confiance de nos partenaires. A ce triste jeu des mauvaises blagues, François Hollande et Emmanuel Macron n’ont, hélas, pas de rivaux…Des boutades de François Hollande telles que « Manuel Valls et rentré sain et sauf d’Algérie » aux propos invraisemblables d’Emmanuel Macron à l’université de Ouagadougou le 28 novembre 2017. Venu mettre officiellement un énième terme à la Françafrique, le Président français aura, par son attitude désinvolte, contredit tout l’esprit (excellent) de son discours. S’adressant au Président burkinabé : « Du coup, il s’en va… Reste là ! plaisante le président français. Du coup, il est parti réparer la climatisation ». Quelques instants d’autosatisfaction et de rires, la ruine de notre crédibilité politique à long terme. Emmanuel Macron se fera aussi reprendre de volée en RDC par le Président Félix Tshisekedi, le 4 mars 2023, sur le « compromis électoral à l’Africaine » dont il tentera, sans succès, d’exonérer Jean-Yves Le Drian (encore lui !).

L’opération consistant à élargir le champ de nos partenaires africains afin d’éviter ceux où nous sommes défavorablement connus ne fut pas un succès non plus.  Enfin, dans la zone sahélienne, les « Coups d’Etats » tiennent le choc, les régimes s’éloignent chaque jour davantage de la France. Wagner n’est pas responsable de tout. Les pouvoirs bénéficient d’un certain soutien populaire alors que le gouffre ne cesse de se creuser avec la France;

La « Hollande touch » : la diplomatie partisane d’un homme qui n’aura jamais cessé d’être chef de parti.

François Hollande n’aura envisagé la politique étrangère qu’à l’aune de l’Internationale socialiste dont il fut un membre éminent. Ce biais l’aura conduit à plusieurs bévues en apportant son soutien à des régimes discutables et prenant des décisions au seul motif de cette fidélité partisane :

– à la Troïka (2011-2014) en Tunisie noyautée et dirigée par les islamistes mais comprenant l’un de ses amis politiques.

– à des autocrates tels que Mahamadou Issoufou au Niger ou Ibrahim Boubakar Keïta au Mali, amplifiant le rejet de la politique française en Afrique. Tous deux membres de l’International socialiste.

La « Macron touch » :  le “en même temps”  catastrophique en politique étrangère

Au Sénégal, tout en entretenant une relation privilégiée avec le Président Macky Sall connu pour sa francophilie, Emmanuel Macron enverra une délégation donner des signaux à son opposant, Ousman Sanko, en mars 2023, d’une manière qu’il espérait confidentielle. Une naïveté ou un amateurisme confondants. Au final, le bilan est là encore calamiteux :  Macky Sall sera froissé et la France n’a rien à espérer en contrepartie d’Ousman Sonko qui subit d’autres influences bien plus puissantes. A moins d’être un Machiavel et de le manier avec une infinie précision, ce qui est loin d’être le cas, le « en même temps » s’avère calamiteux en politique étrangère.

                                                                                         *****

Cette politique ruine l’influence et le prestige de la France mais elle aussi des répercussions directes pour les Français établis à l’étranger (environ 2,5 millions de personnes). En effet, être le ressortissant d’une Nation aimée et respectée facilite la vie quotidienne. Que la France soit décriée et nos compatriotes basculent dans l’incertitude voire l’insécurité, selon leur région d’adoption.

Des interrogations lourdes existent sur ce que pourraient-être le Sénégal de l’après Macky Sall et la Côte d’Ivoire de l’après Alassane Ouattara….

Erwan DAVOUX est diplômé de l’IEP de Paris et de l’INALCO

Ancien Chargé de mission à la Présidence de la République, il a conseillé de nombreuses personnalités de droite à l’International

Vous aimerez aussi

Geopolitics.fr traite de l’actualité et analyse les questions politiques, internationales et de défense dans une perspective gaullo-chiraquienne et dans une démarche participative.

Newsletter

Abonnez-vous à ma newsletter pour de nouveaux articles de blog, des conseils et de nouvelles photos. Restons informés !

@2024 – All Right Reserved. Site réalisé par  Aum Web
Voulez-vous vraiment déverrouiller cet article ?
Restant à déverrouiller : 0
Êtes-vous sûr de vouloir annuler l'abonnement ?