Pourquoi l’hydre antisémite prospère-t-elle en France ? (2/2)

par Erwan Davoux
10 minutes lire

L’assimilation « Judaïsme » – « Juif » – « Israël » – « Netanyahou » est simplificatrice et dangereuse

C’est la réduction de la communautés juive française à l’Etat d’Israël qui est un facteur important du développement de l’antisémitisme et qui est responsable de l’importation du conflit israélo-palestinien sur notre sol. La France ira au bout de cette confusion lorsqu’Emmanuel Macron invitera Benjamin Netanyahu à commémorer la Rafle du Vel d’Hiv, le 16 juillet 2017 (avant même la loi de 2018 !), la première d’une longue série d’erreurs diplomatiques. En effet, il faisait alors primer la qualité de « Juif » sur la nationalité.  Il prenait le contre-pied absolu de Jacques Chirac grand protecteur de la communauté juive française mais ne la confondant pas avec l’Etat d’Israël, tenant une position équilibrée dans le conflit, la seule raisonnable : le respect du droit international et des résolutions de Conseil de Sécurité. Il n’y a absolument aucune contradiction entre les deux attitudes, bien au contraire. Il est inadmissible qu’une protection de l’armée soit nécessaire pour que les Juifs français puissent se rendre en relative sécurité à la synagogue pour le Shabbat. Et encore, l’édifice religieux est sécurisé et la moindre intrusion d’un fidèle est scrutée, la peur au ventre, de crainte qu’il ne s’agisse d’un terroriste. L’antisémitisme n’est pas une option ou une opinion, il est un délit et parfois un crime. Mais, il est tout à fait acceptable et légitime de dénoncer un Etat qui s’estime au dessus des lois internationales, filant à grande vitesse vers la qualification peu flatteuse mais méritée d’Etat-voyou.

La politique ouvertement provocatrice et ségrégationniste menée par Netanyahou offre un terreau fertile à l’antisémitisme

Les actes d’antisémitisme sont alimentés par les images qui arrivent de la bande de Gaza mais aussi de Jérusalem et de la Cisjordanie, depuis plusieurs années, car ce n’est pas la première fois qu’Israël commet des représailles disproportionnées. La Torah mentionne par trois fois le principe « œil pour œil, dent pour dent », c’est-à-dire le principe de proportionnalité, tout en appelant à une morale de dépassement quand cela est possible. « Ne dis pas : Comme il m’a traité, je le traiterai, je rends à chacun selon ses œuvres. » Et si la compassion a été, le 7 octobre, le premier mouvement naturel, il est en revanche devenu incompréhensible de ne pas s’opposer plus efficacement aux massacres perpétrés à Gaza. C’est la politique conduite par Benyamin Netanyahu, partisan décomplexé du Grand Israël (son enrobage idéologique), qui fabrique des antisémites (et de futurs terroristes) à la chaîne. Il n’en a que faire car son objectif ultime est de se maintenir indéfiniment au pouvoir, quitte à massacrer des civils (pour faire oublier sa responsabilité initiale), quitte à défigurer l’image d’Israël dans le monde auprès de tous les peuples, non corrompus, contrairement à nombre de leurs dirigeants. Netanyahou n’est pas le judaïsme, seulement un opportuniste à tout crin sans aucune vision et pour lequel les vies humaines ne sont qu’un des instruments pour conserver le pouvoir.

Un autre antisémitisme, d’origine islamiste-djihadiste

L’Islamisme-djihadiste est un autre vecteur de l’antisémitisme. Il ne vise pas seulement les Juifs mais aussi les Chrétiens et les Musulmans qui n’acceptent pas de se soumettre à ses règles. Il vise à saper tous les fondements de la République, de la démocratie, de la sécularisation. Une importante communauté arabo-musulmane vit en France et en Europe et dispose souvent de la nationalité de son Etat de résidence. Un retour au religieux de la seconde génération est palpable souvent sous une forme non maîtrisée ou radicale. En effet, ces jeunes des banlieues, en rupture sociale et privés de repères, considérant qu’ils n’ont pas grand-chose à perdre, n’ont reçu aucune éducation religieuse de leurs parents qui se voulaient laïcs pour s’assimiler. Ils ne connaissent rien à la langue arabe et peuvent être sensibles à des prédicateurs experts en manipulation, leur donnant le sentiment de redonner du sens à une vie qui en a peu, et prompts à dénoncer les « croisés » (chrétiens et juifs assimilés) ainsi que les Musulmans sécularisés. Ce phénomène existe bel et bien, il est à l’origine d’actes antisémites (difficiles à quantifier dans le compte global). Il est préoccupant. Les démocraties européennes ont fait preuve d’une naïveté coupable en le laissant prospérer, le « Londonistan » des années 1990 reflétant la quintessence de cet aveuglement. La France a réagi plus vite que d’autres mais trop tardivement, néanmoins. Cela explique, en partie, que les pays du Maghreb refusent de réadmettre certains de leurs ressortissants ayant commis des crimes ou délits (qui ne disposent pas de la double-nationalité) sur leur territoire, considérant que c’est en Europe qu’ils se sont fanatisés et que ce n’est pas à eux, luttant contre ce fléau, de payer une radicalisation à ciel ouvert intervenue ailleurs. Cet aveuglement coupable, les démocraties européennes n’ont pas fini de le payer.

Les Européens ont fait preuve d’une ignorance impardonnable lorsqu’ils ont confondu et Démocratie Chrétienne et Frères Musulmans. Dans un cas, il s’agit de donner une connotation morale à la politique dans un cadre séculaire, dans l’autre d’une islamisation de la société par le bas avant d’investir le champ politique pour y imposer des règles religieuses. Ainsi, je fus fort surpris et même consterné alors que j’assistais, en tant que conseiller diplomatique, à plusieurs sommets du Parti Populaire Européen (PPE droite et centre-droit, de tendance chrétienne démocrate), dans les années 2010, de constater que de hauts-dirigeants d’Ennahda y étaient invités d’honneur. Ceux-là même que j’avais vus condamnés lourdement par le régime bourguibien, dans les années 80, pour leurs exactions à l’encontre des femmes qui refusaient de porter le voile (jet de vitriol au visage).

Pour sortir ce cette situation intenable, il existe plusieurs voies.

La première est de sortir du concept absurde du choc des civilisation, d’Israël avant-garde de l’Occident ou de la Chrétienté dans la lutte contre le terrorisme ou dans un conflit majeur à venir. Le conflit israélo-palestinien n’était pas une guerre de religion, c’est un conflit nationaliste sur des terres disputées[1] (cf Tribune du 24 novembre dans www. Marianne.net) Est-il besoin de rappeler que beaucoup de « terroristes » palestiniens des années 70 étaient de confession chrétienne ? Que c’est Israël qui a pris l’initiative de donner une dimension religieuse à ce conflit à la foi parce que le gouvernement israélien actuel est soutenu par des parti ultrareligieux, mais bien avant, Israël a délibérément favorisé le Hamas et favoriser son financement, pour affaiblir l’Autorité Palestinienne. Ehoud Barak évoquait dans une interview au www.point.fr[2], le 7 décembre 2023, les échanges des sms entre Netanyahou et Yahya Sinwar[3] et la fierté que le premier en retirait. Le Hamas a été l’idiot utile de Netanyahou comme Netanyahou a été l’idiot utile du Hamas. Pour Netanyahu, il s’agissait de rendre impossible la création d’un Etat palestinien en fabriquant une vitrine palestinienne infréquentable. Pour le Hamas, prendre le leadership de la cause palestinienne et susciter des réactions hostiles à Israël. C’est ce pacte qui a volé en éclat le 7 octobre. Puisque les dirigeants internationaux ne sont pas à la hauteur (c’est un euphémisme) de ce qui se joue actuellement, il faut espérer et croire que le peuple israélien finira par contraindre cet individu qui a tant de sang arabe et de sang juif sur les mains de quitter définitivement le pouvoir.

La deuxième est de normaliser l’appréhension que l’on peut avoir de l’Etat d’Israël comptable de ses actes comme tout autre Etat. L’Holocauste est une tragédie qui marquera à jamais la conscience de l’humanité. Il est venu d’Europe et non du monde arabe. La Shoah ne justifie pas un traitement dérogatoire accordé à l’Etat d’Israël par ceux là-même qui ont provoqué le malheur des Juifs. Le soutien aveugle aux agissements criminels à Gaza les rend coupable de complaisance face à des pratiques dont personne peut s’exonérer en plaidant l’ignorance.

Enfin, une prise de distance de la communauté juive française vis-à-vis des agissements de Netanyahou serait bienvenue même si une sympathie et une bienveillance pour Israël sont naturelles.  De même la présence de dignitaires de la communauté musulmane à « la marche contre l’antisémitisme » aurait été, elle aussi, bienvenue. Beaucoup de voix extrémistes ont été entendues, très peu appelant au respect du droit international et à la Paix. Aux Etats-Unis, la donne évolue, les étudiants américains de confession israélite, la communauté juive américaine font entendre une voix forte et prennent leur distance avec l’anéantissement de la bande de Gaza. La France serait-elle devenue médiatiquement le dernier bastion néoconservateur ?

Dans la République Française, il n’existe que des citoyens qui ont le droit d’avoir (ou pas) une religion de leur choix qui ressort de la sphère privée. En France, on est Français avant d’être juif, musulman ou chrétien. Faire prévaloir sa solidarité avec un Etat étranger ou sa religion sur sa qualité de citoyen, revient à se livrer à du séparatisme ou au mieux à du communautarisme.


Erwan Davoux est diplômé de l’IEP de Paris et de l’INALCO

Ancien chargé de mission à la Présidence de la République, il a conseillé à l’International de nombreuses personnalités politiques de droite.

Vous aimerez aussi

Geopolitics.fr traite de l’actualité et analyse les questions politiques, internationales et de défense dans une perspective gaullo-chiraquienne et dans une démarche participative.

Newsletter

Abonnez-vous à ma newsletter pour de nouveaux articles de blog, des conseils et de nouvelles photos. Restons informés !

@2024 – All Right Reserved. Site réalisé par  Aum Web
Voulez-vous vraiment déverrouiller cet article ?
Restant à déverrouiller : 0
Êtes-vous sûr de vouloir annuler l'abonnement ?